Mouhamadou Madana Kane alerte : « Le Sénégal paie pour une crise qu’il n’a pas déclenchée »

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SENTV : Alors que le Sénégal continue de respecter scrupuleusement ses engagements financiers, sa note souveraine vient d’être à nouveau abaissée. L’agence de notation Moody’s a rétrogradé le pays à Caa1 avec perspective négative, un niveau généralement réservé aux pays en défaut de paiement ou engagés dans une restructuration. Une décision qui suscite incompréhension et inquiétude au sein des cercles économiques de la capitale.

Mouhamadou Madana Kane, économiste reconnu et observateur attentif de la scène financière internationale, sonne l’alarme : « Le Sénégal n’a pas fait défaut. Il n’a pas restructuré sa dette. Et pourtant, il est traité comme un pays insolvable. C’est le paradoxe du système financier mondial. » Une critique lucide qui remet en cause les mécanismes de notation actuels et les biais structurels dont souffrent les économies africaines.

Malgré un taux d’endettement public estimé à 78,4 % du PIB en 2025, inférieur à celui de plusieurs économies européennes, le Sénégal se voit infliger une notation quasi-spéculative. Pire encore, cette décision augmente mécaniquement le coût de ses futurs emprunts sur les marchés internationaux, dans un contexte où le service de la dette absorbe près d’un quart des recettes publiques.

« Nous faisons face à une double peine », déplore Madana Kane. « Non seulement nous payons nos dettes, mais en plus, nous payons plus cher que ceux qui les restructurent. » Une situation qui soulève une question stratégique : faut-il continuer à jouer selon les règles d’un jeu biaisé ou reconsidérer la stratégie actuelle ?

Jusqu’ici, Dakar a exclu toute restructuration, misant sur la stabilité et la confiance des marchés. Une posture saluée par les institutions internationales, mais qui ne semble plus convaincre les agences de notation.

Pour Madana Kane, il est peut-être temps de revoir cette position :

« Il ne s’agit pas de renier nos engagements, mais de les reconfigurer intelligemment. Si nous continuons à subir une dégradation sans fin malgré notre discipline, autant envisager un reprofilage de la dette pour préserver notre capacité budgétaire. »

Des propos audacieux, mais ancrés dans une réalité budgétaire difficile : le Sénégal a besoin d’espace fiscal pour financer ses priorités — infrastructures, éducation, santé, sécurité alimentaire — dans un contexte où les marges de manœuvre sont de plus en plus réduites.

Derrière cette dégradation de note se cache un mécanisme bien huilé. Moody’s, comme les autres grandes agences, applique des grilles d’analyse standardisées, souvent insensibles aux dynamiques économiques spécifiques à l’Afrique. Pour accéder aux marchés, il faut non seulement une bonne note, mais aussi le soutien du FMI, même sans financement direct. Or, Dakar n’a pas encore finalisé d’accord formel avec l’institution.

Conséquence : les investisseurs privilégient les pays avec la « caution » du FMI, perçue comme un label de confiance. Ceux qui en sont privés voient leur prime de risque grimper en flèche.

Deux voies pour l’Afrique

Pour Madana Kane, le constat est sans appel :

« Tant que l’Afrique ne pèsera pas dans la gouvernance financière mondiale, nous resterons à la merci de décisions qui nous échappent. En attendant, nos pays doivent choisir entre deux options : naviguer habilement dans ce système injuste, ou bien le défier frontalement, en acceptant les conséquences. »

Un choix cornélien, mais inévitable. À court terme, la prudence appelle à l’adaptation : réformer sans attendre, restructurer si nécessaire, et surtout, maintenir les priorités de développement intactes. À long terme, c’est la réforme du système lui-même que plaident de nombreux économistes africains, dont Madana Kane.

La rédaction de la SENTV.info

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