SENTV : Alors que le débat sur la relance de l’affaire des victimes des manifestations de 2021 à 2024 continue de diviser l’opinion, Me Amadou Sall, ancien Garde des Sceaux (2009-2010) et avocat au barreau de Dakar, s’est exprimé ce dimanche 19 octobre lors de l’émission Face au Jury, diffusée sur une chaîne nationale.
Faisant preuve de fermeté et de prudence, l’avocat a qualifié de « dangereux précédent » l’ouverture d’éventuelles poursuites judiciaires visant les responsables des violences ayant conduit à la mort de plus de 80 jeunes Sénégalais, selon des chiffres évoqués par la société civile et plusieurs formations politiques.
« Oui à la justice, mais toute la justice »
Me Sall s’est dit profondément indigné par le lourd bilan humain de ces années de tension préélectorale. Cependant, il insiste : « Il ne suffit pas de viser un camp », appelant à une approche globale de la justice.
« On ne peut pas ne pas s’indigner face à ces décès. Mais avant de poursuivre Macky Sall pour ces morts, il faut savoir que toutes les victimes atteintes par balles ont été autopsiées. On a extrait les projectiles, on sait d’où ils viennent. Il faut situer toutes les responsabilités », a-t-il affirmé.
L’avocat vise notamment ceux qui ont, selon lui, incité les jeunes à descendre dans la rue en appelant à un « Mortal Kombat » ou au « Gatsa Gatsa », des expressions largement reprises dans les discours de certains leaders de l’opposition.
« Une personne a clairement dit que plus il y aura de morts, plus le combat sera rude. C’est une stratégie du chaos. Qu’ils assument maintenant les conséquences de leurs appels », a-t-il lancé.
Un rappel sur les armes utilisées et les responsabilités sécuritaires
Dans une sortie technique et inhabituelle pour un homme de loi, Me Sall est revenu sur les types d’armes en circulation au sein des forces de sécurité sénégalaises, rappelant que :
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L’armée et la gendarmerie utilisent principalement des M16, HK et FAMAS, des fusils d’assaut réglementaires ;
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La Kalachnikov, arme soviétique, n’est pas en dotation dans l’armée nationale. Elle serait, selon lui, utilisée par les douanes ou saisie lors d’opérations contre des bandes armées.
Ce détail est pour lui essentiel : la présence de balles de Kalachnikov dans certains corps de victimes pose la question de leur provenance, et surtout de l’identité des tireurs.
« Si une balle de Kalachnikov est retrouvée dans un corps, on doit demander qui a tiré, qui a donné l’ordre. Si c’est la police, elle doit ouvrir une enquête. Si c’est la gendarmerie, pareil. Mais il faut mesurer ce que ce genre d’enquête peut déclencher », a-t-il prévenu.
Vers un procès à charge ? Une mise en garde politique
Face aux voix qui appellent à la traduction devant la justice de l’ancien président Macky Sall, soupçonné d’avoir couvert ou autorisé les répressions meurtrières, Me Sall appelle à la prudence.
« Vouloir faire porter à Macky Sall seul la responsabilité de ces drames, en occultant les incitations publiques à la violence, c’est fausser le débat. Le droit ne doit pas devenir un outil de vengeance politique », a-t-il averti.
Interrogé sur les vidéos montrant des véhicules Pick-Up sortant du siège de l’APR (le parti de Macky Sall) et rejoignant les manifestations, Me Sall s’est montré circonspect : « Je ne suis pas au courant. Cela ne m’engage pas. »
Il a toutefois reconnu l’existence d’images choquantes montrant des personnes armées tirant à bout portant, tout en affirmant que ces scènes trouvent aussi leur origine dans l’appel à la confrontation lancé par certains leaders de l’opposition.
Une mise en garde sur la stabilité du pays
En conclusion, Me Amadou Sall a rappelé que la stabilité du Sénégal n’est ni un héritage ni une propriété politique, et que toute démarche judiciaire devra être menée avec rigueur, mais sans instrumentalisation.
« Le Sénégal n’est pas un bien familial. Si l’on rouvre ce dossier, que chacun soit prêt à répondre de ses actes. Mais qu’on sache : rouvrir ce chapitre, c’est aussi ouvrir une boîte de Pandore, dont on ne maîtrise pas encore les conséquences. »
Les années 2021 à 2024 ont été marquées par de fortes tensions politiques, notamment autour de la question d’un troisième mandat de Macky Sall, et plus tard de la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko. Plusieurs manifestations ont été violemment réprimées, faisant des dizaines de morts, des centaines de blessés et d’arrestations, selon les ONG de défense des droits humains.
La rédaction de la SENTV.info