Ousmane Sonko et le Pastef : entre engagement citoyen et culte du chef (Par Mamadou Sy Tounkara)

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SENTV : Dans le paysage politique sénégalais, le Pastef n’est plus un simple parti : c’est une foi. Son leader n’est plus un homme politique, mais une figure quasi sacrée. Ses paroles sont loi, ses fautes effacées, ses critiques bannies. Le phénomène interroge : où s’arrête la loyauté, et où commence la vénération ?

Le chef a toujours raison

Dans le monde du Pastef, le chef ne se trompe jamais.

S’il change d’avis, c’est stratégie.

S’il échoue, c’est sabotage.

S’il est condamné, c’est injustice.

Tout ce qu’il dit devient vérité. Tout ce qu’il tait devient mystère.

La figure du leader a absorbé celle du parti.

Le militant ne pense plus avec le chef, il pense à travers lui.

La politique cède la place à la croyance.

Une parole devenue dogme

Dans les cercles pastefiens, la parole du leader a valeur de révélation.

Les partisans ne la commentent pas, ils la justifient.

Une phrase devient un slogan.

Une promesse, un serment.

Une contradiction, un signe de génie mal compris.

Ce rapport mystique à la parole politique vide le débat de toute rationalité.

La fidélité se mesure à la ferveur, pas à la lucidité.

Condamné donc innocent

Chaque fois que le chef est inquiété par la justice, le scénario est identique : la cabale.

Un complot d’État, de juges, de puissances étrangères, de médias corrompus.

L’idée d’une faute personnelle devient impensable.

L’accusé se mue en martyr.

Ce réflexe victimaire est une arme redoutable : il soude les fidèles et neutralise toute critique.

Mais il sape la confiance dans les institutions et transforme la République en champ de suspicion permanente.

Allergique à la critique

Dans cette atmosphère, toute voix dissonante devient suspecte.

Les anciens alliés qui doutent sont reniés.

Les journalistes qui questionnent sont insultés.

Les intellectuels qui analysent sont traités d’ennemis du peuple.

La ferveur militante tourne au fanatisme numérique.

Les réseaux sociaux deviennent des tribunaux où l’on juge la loyauté en “likes” et en “shares”.

Le débat d’idées cède la place à la guerre de croyances.

Les contradictions passées, les revirements, les échecs ?

Effacés d’un clic.

Le militant ne se souvient que de la ferveur du jour.

L’histoire devient un outil de propagande, pas de réflexion.

L’homme n’a plus de limites : il devient l’idée incarnée.

Et c’est là que naît le vrai danger : quand le citoyen renonce à juger, au nom de l’amour du chef.

Admirer un leader, c’est légitime.

Mais le sanctifier, c’est suicidaire.

La démocratie repose sur le doute, la contradiction, la responsabilité.

Pas sur la dévotion.

L’histoire politique africaine regorge de leaders adulés hier, rejetés demain.

Un peuple adulte ne se contente pas d’aimer un chef : il lui demande des comptes.

Car sans esprit critique, la ferveur devient servitude.

Le Pastef a révélé une jeunesse en colère, avide de justice et de dignité.

Mais si cette énergie s’enferme dans la foi aveugle, elle cessera d’être révolutionnaire.

La vraie rupture n’est pas de changer d’homme fort, mais de changer de rapport au pouvoir.

Un leader n’est pas un dieu.

Et la liberté, jamais, ne se délègue.

Mamadou Sy Tounkara

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