Justice à huis clos : la Haute cour accusée de fouler aux pieds les droits fondamentaux des ex-ministres mis en cause

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SENTV : L’onde de choc provoquée par la mise en accusation de plusieurs figures de l’ancien régime de Macky Sall continue de secouer le paysage politique et judiciaire sénégalais. À la suite d’une saisine du ministre de la Justice, l’Assemblée nationale a enclenché la procédure permettant de traduire devant la Haute cour de justice cinq anciens ministres : Ndèye Saly Diop, Mansour Faye, Ismaïla Madior Fall, Sophie Gladima et Moustapha Diop.

Alors qu’Ismaïla Madior Fall est poursuivi pour une affaire présumée de corruption, ses ex-collègues sont eux soupçonnés d’implication dans des irrégularités financières liées à la gestion du fonds Force Covid-19, selon les constats du rapport 2022 de la Cour des comptes. Mais au cœur de cette affaire, une autre problématique, plus structurelle, refait surface : la nature même de la Haute cour de justice, de plus en plus perçue comme une juridiction attentatoire aux droits des accusés.

Une justice d’exception qui inquiète

Instituée pour juger les membres du gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, la Haute cour de justice est aujourd’hui décriée pour sa dérogation aux standards internationaux du droit à un procès équitable.

« Cette juridiction viole l’article 7 de la Constitution qui consacre l’égalité de tous devant la loi, et écarte le principe fondamental du double degré de juridiction », explique Alioune Souaré, enseignant-chercheur en droit public et spécialiste du droit parlementaire, dans un entretien accordé au journal Les Échos.

Il souligne que les accusés n’ont droit qu’à un seul avocat, ne bénéficient d’aucune enquête préliminaire, et que les actes d’instruction ne peuvent faire l’objet d’aucun recours. Des conditions qui s’éloignent sensiblement des garanties reconnues par la Constitution sénégalaise et les conventions internationales.

Des arrêts sans appel, des peines décidées par vote

La nature définitive des décisions rendues par la Haute cour constitue l’un des points les plus préoccupants pour les défenseurs des droits de l’homme. Contrairement aux juridictions de droit commun, aucun appel ni pourvoi en cassation n’est possible : les arrêts de la Haute cour sont sans retour.

Autre aspect controversé, relevé par Souaré : le recours au vote des membres de la cour pour déterminer les peines. Une procédure jugée contraire à l’article 101 alinéa 3 de la Constitution, qui dispose que la Haute cour est liée par les peines définies dans les lois pénales en vigueur au moment des faits.

« C’est un mécanisme flou, contraire à la rigueur juridique exigée dans tout procès pénal. On ne vote pas une peine : on l’applique », insiste l’universitaire.

Un déséquilibre entre politique et droit

Composée en majorité de députés, la Haute cour de justice suscite également des interrogations sur sa neutralité. Le fait que les juges soient des parlementaires, élus ou proches du pouvoir en place, alimente les soupçons d’instrumentalisation politique.

Dans un pays qui aspire à renforcer l’indépendance de la justice, cette configuration soulève un paradoxe : alors que le Sénégal affiche sa volonté de lutter contre la corruption, il maintient une juridiction d’exception qui prive les mis en cause des garanties élémentaires de la défense.

Un impératif de réforme institutionnelle

Le débat sur la réforme — voire la suppression — de la Haute cour de justice n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années, des voix issues du barreau, de la société civile et même de l’Assemblée plaident pour son remplacement par une procédure devant les juridictions ordinaires, encadrée par le Code de procédure pénale.

Tant que cette cour subsiste dans sa forme actuelle, les procès qu’elle instruit risquent de souffrir d’un déficit de légitimité aux yeux de l’opinion nationale et internationale.

À l’heure le Sénégal s’achemine vers une nouvelle ère politique, cette affaire souligne l’urgence d’une refondation du système de reddition des comptes — fondée non seulement sur la transparence, mais aussi sur la justice équitable.

La rédaction de la SENTV.info 

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