Mauritanie : 26 milliards d’anciens ouguiyas pour les victimes de 1989, l’État amorce un tournant mémoriel
SENTV : Trente-six ans après les tragiques événements de 1989, la Mauritanie entame un pas historique vers la reconnaissance de son passif humanitaire. Le gouvernement s’apprête à débloquer près de 26 milliards d’anciens ouguiyas — soit environ 680 millions MRU — destinés à indemniser les victimes de ce conflit ethnique qui a bouleversé le pays entre 1989 et 1991.
Cette décision, confirmée par plusieurs sources proches du dossier, intervient à l’issue de longues concertations entre les autorités mauritaniennes et les représentants des victimes, notamment à travers la Coordination nationale des victimes des événements de 1989, dirigée par Ousmane Lo.
Une reconnaissance longtemps attendue
Selon les informations relayées par Trust Magazine et reprises par Emedia, un accord de principe a été trouvé pour le versement d’une première tranche d’indemnisation. Une réunion décisive s’est tenue le samedi 18 octobre 2025 à El Mina, un quartier populaire de Nouakchott, en présence de nombreux ayants droit, de survivants et d’élus nationaux.
Parmi les figures politiques présentes, le député Khally Mamadou Diallo a exprimé son engagement total. « Nous devons cette justice à tous ceux qui ont souffert en silence pendant trop longtemps. Il faut une démarche équitable et transparente », a-t-il plaidé via une déclaration publique sur les réseaux sociaux.
Un processus en plusieurs étapes
Le processus d’indemnisation, présenté comme progressif, vise à couvrir les besoins immédiats des familles concernées, mais aussi à ouvrir la voie à une reconnaissance institutionnelle complète. Ousmane Lo a, pour sa part, transmis un rapport détaillé sur les négociations avec les autorités, précisant que les premières indemnisations pourraient être versées dans les semaines à venir.
Il s’agit, pour le gouvernement, de répondre à une revendication historique, portée depuis des années par les organisations de victimes, les ONG de défense des droits humains, ainsi que les institutions internationales.
Retour sur les événements de 1989 : une fracture nationale
Le conflit de 1989 prend racine dans un différend frontalier opposant des éleveurs mauritaniens et des agriculteurs sénégalais. Ce litige local s’est rapidement transformé en crise interethnique d’une ampleur sans précédent, entraînant violences, arrestations arbitraires, expropriations et déportations.
En Mauritanie, des milliers de ressortissants noirs mauritaniens ont été expulsés, parfois déchus de leur nationalité, tandis que d’autres ont trouvé refuge au Sénégal, au Mali ou dans le sud du pays. Le bilan humain et psychologique reste difficile à établir, mais les estimations font état de plusieurs milliers de morts et de déplacés.
Les relations diplomatiques entre la Mauritanie et le Sénégal furent rompues pendant plusieurs années, et ce n’est que dans les années 2000 qu’un timide processus de réconciliation a pu être entamé.
Un pas vers la vérité, mais pas encore vers la justice
Si l’initiative d’indemnisation est saluée par de nombreuses voix comme un pas en avant majeur, plusieurs organisations de la société civile rappellent que la question de la justice reste entière. À ce jour, aucun procès d’envergure n’a eu lieu pour identifier les auteurs des exactions de l’époque.
« L’indemnisation est une reconnaissance, mais la vérité et la justice sont aussi essentielles pour une réconciliation réelle », estime un militant des droits de l’homme basé à Rosso, interrogé par Le Journal du Jour.
Avec cette enveloppe de 26 milliards d’anciens ouguiyas, la Mauritanie ouvre un chapitre nouveau dans sa gestion de la mémoire nationale. Mais pour nombre d’observateurs, le véritable défi reste la construction d’un récit partagé, où les douleurs d’hier peuvent enfin être écoutées, reconnues et réparées, sans compromis sur la justice.
La rédaction de la SENTV.info