Ousmane Sonko peut-il réintégrer l’Assemblée nationale ? Une bataille juridique à haute tension

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SENTV : Le possible retour du Premier ministre Ousmane Sonko à l’Assemblée nationale, après avoir exercé ses fonctions gouvernementales, suscite un débat juridique aussi complexe que politisé. En toile de fond : l’interprétation des dispositions révisées de la Constitution sénégalaise et du Règlement intérieur de l’Assemblée, qui semblent désormais ouvrir une brèche à la réintégration d’un député devenu ministre. Mais l’opposition reste farouche, et les camps s’affrontent sur le statut exact de Sonko depuis novembre 2024.

Une « démission » ou une « suspension » ? Le point de départ du litige

Tout part de la déclaration de Sonko lors de l’installation des nouveaux députés en novembre 2024, au cours de laquelle il affirme avoir « déposé sa démission » de l’hémicycle. Cependant, aucune preuve officielle de cette renonciation écrite n’a été rendue publique. Cela soulève une question clé : cette déclaration constitue-t-elle une démission irrévocable, ou bien une simple suspension du mandat, comme le permet le nouveau cadre juridique en vigueur depuis août 2023 ?

Ce que dit le droit sénégalais aujourd’hui

L’incompatibilité entre les fonctions de député et celles de membre du Gouvernement est actée dans l’article 54 de la Constitution et rappelée dans le Code électoral (art. LO 155) et le Règlement intérieur de l’Assemblée (art. 109).

Mais la révision constitutionnelle du 2 août 2023 a nuancé cette incompatibilité. Le député nommé ministre « ne peut siéger […] pendant la durée de ses fonctions ministérielles », sans évoquer une démission automatique. L’article 124 du Règlement intérieur précise ensuite que :

« Le député nommé membre du Gouvernement ne peut siéger […]. Il est provisoirement pourvu à son siège vacant par le suppléant de droit […]. La suppléance cesse au plus un (1) mois après la fin des fonctions […], sauf en cas de renonciation écrite irrévocable. »

Ce texte établit donc la possibilité d’un retour automatique du député, à condition qu’il n’ait pas expressément renoncé à son siège.

Deux camps, deux lectures diamétralement opposées

Contre le retour : « Le mandat est perdu »

Pour Doudou Wade, ancien président du groupe libéral, il ne fait aucun doute : « Sonko a démissionné de facto. Le suppléant a été installé, donc il n’y a plus de siège à récupérer. »

Une position soutenue par Ndiaga Sylla, expert électoral, qui va plus loin en évoquant une condamnation pénale définitive rendue par la Cour suprême. Bien que la loi d’amnistie ait levé l’inéligibilité automatique, Sylla rappelle que l’article 61 de la Constitution permet au Garde des Sceaux de demander la radiation d’un parlementaire condamné. Pour lui, le retour de Sonko serait donc juridiquement irrecevable, et politiquement inacceptable.

Pour le retour : « Une suspension conforme à la Constitution »

À l’inverse, Amadou Bâ, vice-président de l’Assemblée nationale, affirme que Sonko n’a jamais formellement démissionné :

« Son mandat est suspendu, pas perdu. La loi encadre cette suspension, et le retour est prévu dans les textes. »

Selon lui, les articles récemment modifiés visent à protéger la continuité du mandat parlementaire face à une nomination gouvernementale temporaire. Sonko, en tant que député élu, pourrait donc récupérer son siège dès qu’il quittera ses fonctions de Premier ministre, à condition de n’avoir pas renoncé par écrit.

Un vide administratif et une responsabilité politique

Le véritable nœud du débat réside dans l’absence d’un document officiel de renonciation. Si Sonko n’a effectivement jamais déposé cette renonciation écrite, son retour devient une question de procédure parlementaire, et non de fond juridique.

Cependant, la situation est rendue plus délicate par le contexte politique et la jurisprudence judiciaire récente, qui placent Sonko sous une pression constante. Toute réintégration pourrait relancer les tensions et nécessiter un avis formel du Bureau de l’Assemblée nationale, voire du Conseil constitutionnel.

La rédaction de la SENTV.info 

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