SENTV : Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, plus connu sous le nom de Serigne Touba, reste une figure emblématique de la paix et de la foi. Son destin, façonné par un exil colonial de sept ans ; qui a pourtant débouché sur la fondation spirituelle de Touba, offre un récit peu mis en lumière : l’exil comme tremplin, non comme supplice.
Un pacte spirituel plutôt qu’une rébellion
Né en 1853 à Mbacké‑Baol dans une famille de nobles origines shéréfiennes, Ahmadou Bamba forge très tôt une vision spirituelle centrée sur la non‑violence, la dévotion, et l’éducation religieuse et théologique Il déclara : « Je ne crains que Dieu ; je porte mes espoirs en Dieu ; rien ne me suffit si ce n’est la religion et la science »
Face à la montée de son influence, l’administration coloniale française l’accusa d’agir en subversion. Jugé sans preuve de prêches armés, il fut condamné à l’exil en 1895 vers le Gabon, où il passa près de huit ans dans des conditions difficiles, mais sans céder à la violence ou à la rébellion
L’exil comme ferment de renouvellement religieux
Loin de briser sa détermination, l’exil affermit son autorité spirituelle auprès des Mourides. À son retour en novembre 1902, il fut accueilli en héros, acclamé par la foule. En 1903, malgré un nouvel exil en Mauritanie, il demeura inébranlable dans sa mission sacrée
Ce parcours personnel d’épreuves non violentes devint le socle de la philosophie mouride : travail, piété, solidarité et résilience. Le village qu’il fonda en 1888, Touba, s’impose dès lors non seulement comme un centre religieux mais comme une cité modèle et symbole d’un islam pacifique
Touba : une mosquée, un mausolée, un symbole vivant
Dès 1926, Serigne Touba fait vœu de construire une mosquée monumentale au cœur de la ville. Après sa mort en 1927, ses descendants démarrent les travaux en 1932, surmontant obstacles logistiques et crises mondiales, y compris durant la Seconde Guerre mondiale. L’édifice fut inauguré en 1963 et figure désormais parmi les grandes mosquées d’Afrique avec son minaret de 86,8 m, nommé Lamp Fall
Chaque jour, le Coran y est récité des dizaines de fois, et son mausolée est devenu un lieu de pèlerinage international. Ses images, rares photographies d’époque, sont omniprésentes dans les transports ou sur les murs, incarnant une présence spirituelle toujours vivante au Sénégal
De l’exil au pèlerinage : le Magal, un miracle de mémoire collective
En mémoire de son départ forcé en exil, le Grand Magal de Touba se tient chaque année le 18 du mois lunaire de Safar. Cette commémoration attire des millions de fidèles – plus de trois millions en 2011, selon les estimations les plus anciennes – pour honorer le chemin d’épreuves qu’il choisit volontairement, dans un esprit de sanctification plutôt que de souffrance
Une légende enracinée dans la non‑violence
Ce qui distingue Serigne Touba de nombreux autres leaders de son époque est sa stratégie spirituelle face à l’oppression coloniale. Il refusa la Légion d’honneur offerte par l’administration française, affirmant son indépendance morale. Et malgré les rumeurs et les supplices, ses disciples le décrivent comme un homme de paix, serein même face aux lions ou aux brimades.
Aujourd’hui, son héritage est porté par le khalifa mouride qui assure la continuité de sa vision sacrée. La ville de Touba, sa mosquée et le Grand Magal en constituent les symboles vivants, un testament du « pacte d’allégeance » spirituel qui, dans l’ombre de l’exil, fit jaillir un phare religieux de portée mondiale.
Moins qu’un leader de résistance, Serigne Touba fut l’architecte d’une résistance mystique : un projet spirituel non‑violent transformé en héritage durable. L’exil, loin d’être affaiblissant, fut pour lui l’incubateur d’une cité sainte où résonne encore aujourd’hui son message de paix et d’espérance.
La rédaction de la SENTV.info