Un étudiant devenu soldat : un Sénégalais capturé sur le front en Ukraine relance le débat sur le sort des Africains enrôlés en Russie
THIEYSENEGAL.com : L’image a saisi les réseaux comme un électrochoc. Un homme noir, vêtu d’un uniforme militaire russe, visiblement épuisé et blessé, apparaît dans une vidéo diffusée cette semaine par le 49e bataillon d’assaut ukrainien « Sich des Carpates ». L’homme, qui se présente comme un ressortissant sénégalais, aurait été capturé près de Donetsk. Son témoignage, livré dans un russe hésitant, relance une question aussi complexe que dérangeante : que font des Africains sur les lignes de front de la guerre russo-ukrainienne ?
Un étudiant pris dans l’engrenage du conflit
Selon ses propres déclarations, l’homme affirme être arrivé en Russie en tant qu’étudiant, pour y poursuivre des études pendant deux ans. Faute de moyens financiers et confronté à des obstacles administratifs persistants, il dit avoir accepté une offre d’enrôlement dans l’armée russe « pour des raisons économiques ». Il aurait espéré ainsi réunir de quoi quitter le pays et gagner l’Europe occidentale.
« Je voulais aller en Allemagne. Mais je n’avais pas de papiers. La Russie m’a proposé de signer un contrat. J’ai accepté. Maintenant, je regrette… c’est un mauvais pays », lâche-t-il face à la caméra, manifestement déboussolé.
Sans pièce d’identité sur lui au moment de sa capture, l’armée ukrainienne n’a pas encore pu confirmer formellement son identité. Il a reçu des soins pour une blessure légère à la jambe et a depuis été évacué hors de la ligne de front. Aucun détail n’a été communiqué quant à sa situation juridique actuelle ni sur d’éventuelles procédures de rapatriement ou d’assistance consulaire.
Silence à Dakar, prudence à Kyiv
Du côté sénégalais, aucune réaction officielle n’a été enregistrée. Contactés par BBC Afrique, ni le ministère des Affaires étrangères, ni l’Ambassade d’Ukraine à Dakar n’ont répondu aux demandes de commentaires. Selon des sources diplomatiques, aucune démarche formelle n’a encore été entreprise dans ce dossier.
À Kyiv, les autorités militaires ont confirmé la capture d’un combattant étranger présenté comme contractuel dans l’armée russe, sans donner d’informations supplémentaires. La prudence reste de mise, tant pour des raisons de sécurité que d’enjeux diplomatiques. Un phénomène de plus en plus documenté
Si ce cas attire l’attention, il n’est pas isolé. Depuis 2022, plusieurs ONG et centres de recherche ont tiré la sonnette d’alarme sur le sort d’étudiants africains en Russie, vulnérables à l’enrôlement forcé ou incité. Officiellement, Moscou interdit le recours à des mercenaires. Mais dans les faits, de nombreux étrangers, notamment issus d’Afrique, se retrouvent dans les rangs de l’armée russe — souvent contre promesse de salaire, de visa, voire de nationalité.
Selon les données du ministère russe de l’Intérieur, 3.344 ressortissants étrangers ont obtenu la nationalité russe depuis le début de 2024 pour avoir combattu en Ukraine. Africa Defense Forum estime qu’au moins 2.000 combattants étrangers se sont engagés dans le Donbass, dont 75 % aux côtés des forces russes.
Des pions dans une guerre qui les dépasse
« Ces jeunes deviennent des pions dans des conflits géopolitiques qui les dépassent », déplore un analyste de l’Institut panafricain d’études stratégiques. « Leur précarité migratoire les rend vulnérables à toutes les formes d’exploitation, y compris militaire. »
L’affaire soulève plusieurs enjeux critiques : quelles responsabilités pour les pays d’origine dans la protection de leurs ressortissants à l’étranger, surtout en temps de guerre ? Quel rôle peuvent jouer les ambassades dans l’identification et le soutien de leurs citoyens en danger ? Et enfin, comment endiguer ce phénomène d’enrôlement économique, présenté comme une échappatoire à la misère ?
Un dossier explosif, encore opaque
L’histoire de ce Sénégalais capturé près de Donetsk est encore enveloppée de zones d’ombre. Mais elle illustre avec force un phénomène discret, tabou et pourtant de plus en plus fréquent : celui de jeunes Africains pris dans l’étau d’un conflit européen où ils n’ont ni patrie, ni avenir clair. Entre précarité migratoire et guerre à haute intensité, certains voient dans l’uniforme une chance. Pour beaucoup, il devient une prison.