Le e-CFA : la révolution silencieuse de la BCEAO entre promesses numériques et héritage colonial

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SENTV : Le franc CFA, monnaie commune à huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), est sur le point de connaître une mutation inédite. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), après plusieurs mois de tests techniques et de consultations, s’apprête à lancer son projet pilote de monnaie numérique de banque centrale (MNBC), plus connue sous le nom de e-CFA.

Un acronyme qui semble anodin, mais qui pourrait bien signer une révolution monétaire douce aux implications profondes.

La dématérialisation du symbole

Créé en 1945 puis arrimé à l’euro depuis 1999, le franc CFA n’est pas qu’un outil économique. Il est aussi un marqueur politique, symbole d’une relation longtemps déséquilibrée entre la France et ses anciennes colonies. Son passage au numérique est donc loin d’être anodin.

Officiellement, la BCEAO parle d’un outil de modernisation destiné à accompagner la croissance du numérique et de l’inclusion financière dans la sous-région. Officieusement, le e-CFA réactive les débats : qui contrôle cette monnaie ? Jusqu’où va l’autonomie réelle de la BCEAO ?

Un chantier technique en phase pilote

Depuis 2022, la BCEAO travaille discrètement sur le développement de sa monnaie numérique, avec un objectif clair : offrir un moyen de paiement électronique accessible, interopérable et sécurisé. Des tests internes ont déjà été menés, avec l’appui d’experts internationaux, sur des prototypes d’applications de paiement mobile, destinées à simuler des transferts entre particuliers, commerçants et institutions.

« Le projet est encore au stade expérimental, mais les premiers résultats sont prometteurs. L’idée n’est pas de remplacer totalement le cash à court terme, mais d’offrir une alternative numérique crédible », confie une source proche du dossier à la rédaction.

Un levier pour l’inclusion… numérique

Selon les chiffres de la BCEAO, plus de 60 % de la population adulte dans la zone UEMOA reste en dehors du système bancaire formel, mais près de 80 % possède un téléphone mobile. Le e-CFA pourrait donc devenir un accélérateur de l’inclusion financière, à condition que les infrastructures numériques suivent.

Des expériences similaires, comme le e-naira au Nigeria ou le yuan numérique en Chine, montrent que l’adoption d’une monnaie numérique dépend moins de la technologie que de la confiance. Confiance envers l’État, envers les banques centrales, mais aussi envers la sécurité des données.

Transparence ou surveillance ?

Le e-CFA s’inscrit dans une tendance mondiale : celle des CBDC (Central Bank Digital Currencies). Ces monnaies sont émises par les banques centrales, à la différence des cryptomonnaies comme le bitcoin. Elles permettent des transactions instantanées, traçables et programmables. Ce dernier point soulève des questions.

En cas d’adoption massive, les autorités monétaires pourraient disposer d’un pouvoir sans précédent sur la circulation de l’argent : gel de fonds en cas de suspicion, traçage en temps réel, voire restriction géographique ou temporelle de certains paiements. Une innovation utile contre la fraude et le terrorisme, mais à manier avec prudence dans des pays où les contre-pouvoirs institutionnels sont parfois fragiles.

Modernité contre mémoire : un équilibre fragile

Le e-CFA pourrait ouvrir un nouveau chapitre monétaire, en rupture avec une longue histoire d’héritage colonial. Mais pour de nombreux économistes africains, la vraie révolution viendra lorsque la monnaie ne sera plus arrimée à l’euro, mais ancrée dans les réalités économiques du continent.

Pour l’heure, la parité fixe avec l’euro reste inchangée, tout comme le rôle de la France comme garant de convertibilité, même si Paris s’est officiellement désengagée du fonctionnement de la BCEAO depuis la réforme de 2020.

Vers une adoption progressive

La BCEAO prévoit une phase pilote étalée sur plusieurs mois, avant une possible généralisation d’ici 2026. Plusieurs pays de la zone UEMOA, dont le Sénégal et la Côte d’Ivoire, seraient candidats pour tester en conditions réelles l’utilisation du e-CFA auprès de commerçants et fonctionnaires volontaires.

D’autres, plus prudents, craignent une déconnexion avec les réalités rurales, où le cash reste roi. Le risque : créer une monnaie à deux vitesses, numérique pour les urbains connectés, et papier pour le reste.

Conclusion : une révolution à pas feutrés

Le e-CFA n’est pas encore dans vos portefeuilles, mais il est déjà dans les plans, les discours et les inquiétudes. Technologiquement ambitieux, politiquement sensible, il représente bien plus qu’un simple outil de paiement.

Il pourrait incarner une tentative d’indépendance réinventée, ou au contraire un outil de contrôle encore plus fin, selon l’usage qu’on en fera.

Dans tous les cas, le passage à une monnaie numérique ne sera pas seulement une affaire de code et de serveurs, mais bien de vision politique et de souveraineté économique.

La rédaction de la SENTV.info

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