“À chacun son panafricanisme…” (Par Fary NDAW)

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THIEYSENEGAL.com : Je ne fais plus partie de ceux qui, au nom d’une quête de souveraineté économique et politique légitime, acceptent dans le même temps de sacrifier nos maigres acquis démocratiques et de soutenir, sans vraiment l’assumer, des putchs à répétition.

On ne peut pas condamner le passage en force d’Abdoulaye Wade en 2012, ceux d’Alpha Condé et Alassane Ouattara plus récemment, et dans le même temps trouver normal qu’après 18 mois de transition, et deux coups d’État, Assimi Goita veuille garder le pouvoir pendant quatre années supplémentaires jusqu’en 2026 sans consulter le peuple malien. Quels sont les changements tangibles et pratiques, dans les institutions et dans l’économie, qu’ont apporté Assimi Goita et son équipe de transition depuis 18 mois ?

La démocratie ne se mange pas mais elle est le type de régime que nous avons choisi dans notre sous région ouest-africaine. Des gens sont morts en son nom, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali et ailleurs. Elle n’est donc pas aussi peu chère aux yeux des peuples africains que voudraient le faire croire ceux qui vilipendent les sanctions de la CEDEAO contre le Mali. Cette démocratie comme la souveraineté ne s’acquièrent pas d’un coup de baguette magique, elles sont toutes deux le fruit d’un travail harassant et de longue haleine à la fois des dirigeants et des peuples.

Le départ forcé de Yaya Jammeh était une étape importante, et largement approuvée, dans le positionnement de la CEDEAO comme une entité qui veillerait sur la démocratie dans la sous-région. Cette entité est restée aphone et a lamentablement échoué sur les cas guinéen et ivoirien, laissant des troisièmes mandats se faire, et nous le déplorons tous. Cependant, ce n’est pas une raison pour donner un blanc seing à tous les apprentis putchistes qui, parce qu’ils ont des armes, pensent qu’ils ont le droit de les brandir quand ils veulent et de rester au pouvoir grâce à ces mêmes armes.

À mes yeux, quiconque soutient une transition de cinq ans et demi dirigée par Assimi Goita et son premier ministre Maïga sans élection se met en position plus que fragile pour fustiger une nouvelle atteinte à la démocratie… en 2024, comme un 3e mandat illégitime et illégal par exemple. Par ailleurs, systématiquement convoquer la France, dont l’influence est certes réelle et écrasante dans nos économies, pour justifier tous les piétinements de la parole donnée et de nos maigres institutions par nos dirigeants est une marque d’obsession et un complexe d’infériorité inavoué. À moins que ce ne soit encore pire, c’est à dire une vaste fumisterie populiste et démagogique car il faudra que les tenants de cette rhétorique prouvent de manière factuelle que c’est bien Emmanuel Macron qui aurait ordonné à 14 chefs d’État de sanctionner un des leurs et qu’ils auraient obtempéré sur le champ.

Soit nous voulons des démocraties et des républiques, et dans ce cas, les militaires restent dans les casernes ou vont se battre contre les terroristes après que les civils leur en aient donné le droit et les moyens, soit nous acceptons d’avoir des états anarchiques où quiconque détient des armes peut s’arroger le droit de renverser des gens élus et de s’éterniser au pouvoir. Je préfère la première option même si elle est une construction lente et difficile.
L’union des peuples africains ne se fera pas dans des espaces virtuels et désincarnés. Elle se fera, lentement et progressivement, dans le cadre de nos états que nos pères de l’indépendance n’ont pas réussi à garder unis au sortir de la colonisation, parfois aussi pour des raisons d’égo (cas de la Fédération du Mali).

Ces états, fragiles, brinquebalants, ont néanmoins des lois et des règles. Nous pouvons changer ces règles et ces lois mais cela doit se faire dans un cadre égalitaire, ouvert et démocratique (constituante populaire, processus parlementaires à majorité qualifiée etc.). On ne peut pas vouloir consolider la démocratie en la renversant à chaque fois qu’elle balbutie et en imposant un calendrier de transition de manière unilatérale comme l’ont fait Assimi Goïta et son premier ministre Maïga récemment.

Il ne s’agit pas ici de défendre la CEDEAO car elle s’est montrée complaisante avec certains de ses membres, en raison, il faut le dire, de considérations économiques et d’un réel laxisme politique, mais il s’agit surtout d’interroger ce que nous voulons profondément pour nos pays. Je ne veux pas de coup d’État pour le Sénégal, et je n’en veux pas non plus, encore moins à répétition, pour nos voisins maliens ou guinéens car je refuse de croire que c’est la meilleure manière de former des institutions solides et des états efficaces et souverains tels que réclamés par nos peuples. En définitive, il faut désormais assumer une ligne de fracture au sein des souverainistes africains et c’est la suivante : à chacun son panafricanisme; le mien est aussi attaché à la souveraineté qu’au respect des règles démocratiques.

Fary Ndao

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