Mille coups de bulldozer pour désamorcer la bombe foncière ? (Par Massamba Ndao)

0

SENTV : La visite inopinée effectuée, ce 1er mai –jour férié-, à Mbour 4 de Thiès prouve à bien des égards que le chef de l’Etat Bassirou Diomaye Faye et son régime placent le foncier, ce levier important du développement économique et social, au centre de leurs priorités. Il s’agissait pour lui de s’assurer de l’effectivité des récentes mesures visant à désamorcer la bombe foncière. Mais le Chef de l’Etat aura tout aussi constaté de graves distorsions à l’égalité et à l’équité entre citoyens. « Des personnes, parce qu’elles sont proches du pouvoir, ont pu bénéficier des dizaines voire centaines d’hectares au détriment des populations autochtones », dit-il, indigné. Le mal est donc profond. La situation ahurissante !

En tout cas, au Sénégal, les différends liés au foncier représentent 90 % des conflits. En 2023, par exemple, la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol (Dscos) a enregistré 3498 plaintes, dont 1230 ont été solutionnées « dans le cadre de la prévention », à en croire le directeur de ladite direction de la gendarmerie nationale, le colonel Papa Saboury Ndiaye.

Ces conflits opposent souvent l’État du Sénégal, à travers ses démembrements, et les populations, mais aussi les communes, qui ont un souci d’extension de leur territoire, et les populations ou des privés qui, souvent, après avoir consenti des investissements, voient leurs biens détruits par la loi parce qu’ils ne sont pas détenteurs de titres.

C’est pourquoi la décision d’arrêter toutes les constructions litigieuses en attendant de mener des enquêtes approfondies est fortement saluée par les compatriotes. Car aux yeux de l’opinion, cette question foncière était quasiment classée parmi la longue liste des sujets dits tabou parce que relevant d’une affaire d’aisés, de bras longs et de politiciens de métier, qui mènent une course effrénée pour l’obtention de quelques mètres carrés près de la plage. Une situation déplorable qui fait que le littoral, par exemple, continue de souffrir de sa position stratégique qui offre un beau cadre.

Il subit sans cesse les assauts des promoteurs immobiliers attirés par son espace luxuriant. Ces nombreuses constructions, constatées sur le long de la façade maritime de la capitale, en disent long. De semaine en semaine, des immeubles R+, des hôtels, entre autres édifices, poussent, et des grues sont superposés le long du littoral. Les nouvelles autorités, vont-elles donner mille coups de bulldozer sur le littoral dakarois ? Le nouveau régime, envisage-t-il de raser toutes les constructions dans cette zone, considérée comme un bien public, et qui était devenue le théâtre d’une exploitation foncière excessive ?

Si, aujourd’hui, Ousmane Sonko est devenu une réalité politique incontestable, c’est en grande partie grâce à l’affaire de 94 milliards F Cfa autour du TF 1451/R, l’opposant à Mamour Diallo.

En 2020 déjà, l’actuel Premier ministre avait promis de faire détruire toutes ces constructions illégales sur le littoral une fois porté à la tête du pays. « Toutes les autorités dont la responsabilité est engagée devront rendre compte de tout ce qu’ils ont fait du littoral, et cela, sans intervention ni négociation, car c’est trop facile de s’enrichir de cette manière abusive sur le dos du Sénégalais sans pour autant que des sanctions ne soient prises. Et c’est regrettable que toute cette partie du littoral soit occupée de telle sorte qu’on ne puisse pas penser venir en ces lieux pour profiter de l’air, faire du sport ou encore s’épanouir », s’était-il ainsi insurgé.

Aujourd’hui, les autorités étatiques veulent aller en croisade contre la spéculation foncière, un phénomène qui a fini de prendre de l’ampleur. Des proportions inquiétantes, sans des mesures concrètes par l’ancien régime. Au grand dam du « goorgoorlu » qui n’a que ses yeux pour contempler les villas de luxe.

Pourtant, lors de cérémonie traditionnelle de rentrée solennelle des Cours et Tribunaux autour du thème « Justice et conflits fonciers : application de la loi sur le domaine national », en janvier 2022, l’ex-chef de l’Etat admettait que « le foncier [était] une véritable bombe à retardement dans notre pays ». Macky Sall, qui parlait de « problématique majeure », faisait notamment allusion aux contentieux pendants devant les juridictions. « Mais il ne peut remplir cette vocation que lorsque la sécurité juridique des terres issues du domaine national est assurée au-delà de toute ambiguïté, afin d’éviter tout conflit pouvant déboucher sur un contentieux », estime le chef de l’État. C’est pourquoi il avait mis sur pied une Commission nationale de réforme foncière (Cnrf) qui avait élaboré un rapport en 2017 qu’elle lui avait soumis. Toutefois, depuis lors, ledit document dort dans les tiroirs. « (…) J’ai toujours souhaité que la résolution en amont des problèmes fonciers reste au cœur des politiques publiques. C’est le sens de la Commission nationale de la réforme foncière. Je rappelle que cette commission avait pour mission principale d’analyser les textes législatifs et réglementaires, d’identifier les contraintes institutionnelles d’une gestion optimale du foncier et de proposer. L’usage que le président doit faire ne dépend pas de la commission ».

Grâce à cette mesure forte de suspension provisoire des constructions et des procédures domaniales et foncières entre Dakar et Thiès, notamment, bon nombre de Sénégalais ont poussé un ouf de soulagement, espérant qu’il y aura, enfin, plus de sérieux dans l’attribution des lopins de terre.

C’est d’ailleurs ce même sentiment qui les anime suite à la publication des rapports de l’Ofnac et surtout de la Cour des comptes. Parce qu’il n’est point besoin de rappeler que les Sénégalais qui ont plébiscité Bassirou Diomaye Faye, candidat anti-système, ne veulent plus que des rapports d’enquête soient légion dans les tiroirs du Chef de l’Etat, ils n’ont plus besoin d’un Président qui met son coude sur des dossiers chauds incriminant des proches collaborateurs politiques, pour protéger les mauvais gestionnaires de nos maigres ressources, ces ministres et Directeurs généraux, grands récidivistes, épinglés par presque tous les organes de contrôle. La vérité est qu’à un moment donné, le slogan « gestion sobre et vertueuse » tant chanté en 2012, a laissé place à une sorte d’impunité quasi généralisée. Il suffisait juste de pouvoir bien s’expliquer, pointer du doigt ses détracteurs. De bien se laver à grande eau, à travers des communiqués, pour enfin obtenir sa récompense, le plus souvent, une belle promotion. Et puis ça passe vite, comme du vent. On oublie ! L’ironie est que c’est le même pouvoir qui orchestre une campagne de dénigrement en jetant l’opprobre sur le travail des vérificateurs.

- Advertisement -

commentaires
Loading...