Depuis quelques jours, l’arène politique sénégalaise est secouée par une dynamique de tension entre Ousmane Sonko, Premier ministre et leader du PASTEF, et Bassirou Diomaye Faye, Président de la République. À la veille de l’intervention de Sonko devant l’Assemblée nationale — dans un contexte de boycott annoncé — la guerre des mots, les rivalités internes et les enjeux judiciaires relancent un débat qui risque de redessiner les équilibres au sommet de l’État.
L’opposition parlementaire, notamment le groupe non-inscrit et le groupe Takku Wallu Sénégal, a décidé de boycotter la séance de questions d’actualité animée par Sonko, prévue ce vendredi 28 novembre. Motif invoqué : préserver la dignité de l’Assemblée et protester contre ce qu’ils considèrent comme la banalisation de pratiques parlementaires controversées.
Ce contexte de boycott jette une ombre sur l’exercice du débat démocratique, porte un coup à la crédibilité de l’institution et met à nu les fractures profondes qui minent la majorité.
Ce malaise vient s’ajouter à la crise larvée entre les cadres de PASTEF et les décisions prisent par le chef de l’État. Plusieurs éléments cristallisent le conflit :
La décision de remplacer Aïda Mbodj à la tête de la coalition présidentielle — Diomaye Président — par Aminata Touré, une nomination perçue par beaucoup comme un désaveu à l’égard de Sonko. La publication d’une liste de 213 mouvements et partis ralliés à Aminata Touré, sans consultation préalable du parti PASTEF, a envenimé la crise.
Pour PASTEF, cette restructuration renforce l’idée d’une marginalisation fictive du parti malgré son rôle central dans l’accession de Diomaye au pouvoir. Pour ses dirigeants, c’est la remise en cause d’un pacte originel : « Diomaye, c’est Sonko » — slogan symbolique de 2024.
Au-delà du symbolique, c’est une bataille d’influence, de contrôle des alliances et de la stratégie à venir dans la perspective des échéances futures (notamment la présidentielle de 2029) qui se joue.
Justice, communication et accusations de dérives : l’arrière-plan judiciaire s’invite au pouvoir
La confrontation n’est pas seulement politique, elle emprunte aussi la voie judiciaire. Depuis l’affaire de diffamation confirmée contre Sonko par la plus haute juridiction du pays, l’ombre d’un épée de Damoclès plane sur sa capacité à jouer un rôle central.
Pour ses partisans, cela s’apparente à une judiciarisation du débat politique, un moyen pour certains de « neutraliser » le premier ministre. Pour ses adversaires internes — au sein de la coalition présidentielle — l’argument sert à justifier un recentrage du pouvoir autour du Président, excluant peu à peu Sonko des décisions clés.
Ainsi, la séance de l’Assemblée prévue avec Sonko à la barre n’est plus qu’un acte juridique ou institutionnel : c’est un symbole, un test de force, un moment charnière pour mesurer l’équilibre réel entre les pouvoirs et les ambitions.
Plusieurs issues sont aujourd’hui envisagées, chacune avec des conséquences importantes :
Un resserrement du pouvoir autour du Président : Si le mouvement de consolidation de la coalition Diomaye-Président réussit (grâce aux 213 organisations ralliées), cela pourrait marginaliser progressivement PASTEF, réduire l’influence de Sonko — au profit d’une majorité plus « présidentielle ».
Un éclatement de la coalition : Si PASTEF rejette formellement les décisions actuelles et exerce sa logique d’indépendance — ou prépare une alternative — le risque est grand de voir la coalition se fissurer, ouvrant la voie à un nouveau recomptage des forces avant 2029.
Un regain de protestation populaire : Considéré comme le porte-voix d’une base populaire — souvent jeune, parfois critique — Sonko peut raviver le mécontentement social en misant sur la justice, la transparence et la dénonciation des dérives. Cela pourrait redonner du souffle à la contestation, à moins qu’une posture trop clivante n’isole encore davantage son camp.
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse la simple confrontation entre deux personnalités. C’est la compétition entre deux visions de la gouvernance :
d’un côté, un pouvoir recentré, stable, d’inspiration présidentielle — cherchant l’efficacité, le contrôle, l’unité autour de Diomaye Faye ;
de l’autre, un courant représenté par Sonko, revendiquant rupture, justice sociale, moralisation, et un prisme de transparence rendu populaire par PASTEF.
L’intervention de Sonko à l’Assemblée, dans un climat de boycott et de défiance, pourrait marquer un tournant dans l’architecture politique du Sénégal. Quoi qu’il advienne, la scène nationale retient son souffle — tant les enjeux dépassent de loin les seuls rangs parlementaires.