Décidément, aucun vent favorable ne pouvait sauver Yahya Jammeh du naufrage. Pourtant, les bouées de sauvetage n’ont pas manqué. On a tout fait pour aider le tyran à s’extirper de la furie des vagues et à atteindre le rivage sans y laisser son âme. Le verdict de la démocratie par les urnes. L’implication de la CEDEAO, de l’UA, de l’ONU. Des chefs d’Etat ont fait le déplacement. Plusieurs semaines de négociations. Tout le monde a parlé. Mais rien. Il n’a pas pu tenir la perche qui lui était tendue. Comme tous les despotes, sa fin devait être avilissante. Il ne pouvait pas en être autrement pour quelqu’un qui, pendant 22 ans, était occupé à piller, à spolier, à brimer, à tuer. Et comme pour lui, tous les chemins devaient mener à la petite porte de l’histoire, il n’avait pas pu réaliser que pour un chef la parole publique est sacrée. Dire et se dédire comme il l’avait fait face à la victoire d’Adama Barrow, est discréditant. Cela lui a fait perdre le peu de crédit qui lui restait. On ne pouvait plus rien faire pour le tirer d’affaire. Le vent de son destin, très fort, l’entrainait vers sa perte inexorable.
Yahya Jammeh s’est éclipsé, Adama Barrow arrive sous les vivats. Le nouveau président a été accueilli par une foule immense, pleine d’espoir, à son arrivée, ce jeudi, à Banjul après un séjour d’une dizaine de jours passés au Sénégal où il avait prêté serment.
C’est le lieu de féliciter la CEDEAO pour la pression salvatrice qu’elle avait exercée sur le tyran. L’organisation sous-régionale n’a pas pour autant terminée sa mission. Elle a l’obligation, à côté de la communauté internationale, d’accompagner le nouveau président et le peuple gambien face aux nombreux défis qui se dressent devant eux.
Une des tâches prioritaires de la nouvelle équipe est la sécurité et la restructuration de l’armée qui, depuis deux décennies, était aux ordres du dictateur. Les nouvelles autorités de Banjul sont attendues aussi sur les questions institutionnelles, la réconciliation nationale et la relance de l’économie. Il n’est pas certain qu’à elles seules elles puissent maîtriser la situation, tellement l’héritage laissé par l’ex-président est lourd et les attentes des populations nombreuses et pressantes dans un pays où tout est refaire. En effet, Yahya Jammeh qui, dans ses apparitions publiques, s’affichait toujours vêtu d’un boubou blanc, le Coran et le chapelet à la main, était loin d’être un saint.
Tenez, au moment de s’enfuir de le « State House » (le Palais de la République), contraint, sous la menace des soldats de l’Ecomig, le pittoresque président déchu qui se faisait appeler His Excellency Sheikh Professor Alhaji Doctor Yahya Abdul-Azziz Jemus Junkung Jammeh Nasirul Deen Babili Mansa, s’est illustré de la plus triste des manières. Il a dévalisé le Trésor public. Le président Adama Barrow, s’en est ému dans plusieurs interviews accordées aux médias. Le gangster ne s’est pas suffi de ce brigandage, il aurait aussi « emporté une dizaine de véhicules de luxe, vandalisé le « State House » et brûlé les archives de l’Etat « , confirmant ainsi l’adage selon lequel, les autocrates se révèlent toujours de véritables lâches au moment de quitter la scène.
Pendant ses 22 ans de règne, l’ancien putschiste, qui avait la main mise sur l’économie nationale, s’est aussi révélé un véritable oppresseur. Sa National Intelligence Agency (NIA), une sorte de police politique, semait la terreur. Elle s’en prenait systématiquement aux opposants, à la presse et aux ONG. La parole est muselée. Répression, arrestations arbitraires, disparitions, assassinats, exil, voilà ce que Babili Mansa a réservé à son peuple. Yahya était devenu une psychose. Il décidait de tout, contrôlait tout, se permettait et abusait de tout.
Au bout de plusieurs péripéties qui ont suivi sa défaite à l’élection présidentielle de décembre et au moment où beaucoup pensaient à sa mort prochaine, l’enfant de Kalinai a pu sauver sa peau et se remplir les poches avant de s’enfuir. Certains parlent d’une sortie glorieuse de la scène, d’un exil doré en Guinée Equatoriale pour le tyran. Oh que nenni! Babili Mansa aurait tout donné (sauf sa vie évidemment) pour finir ses jours sur les terres fertiles de la Gambie qui l’ont vu naître et qu’il avait fini de faire sa propriété. Il aurait aimé se réveiller tous les matins à Kalinai et admirer ses centaines d’hectares de champs (dans lesquels il faisait travailler les soldats). Il a perdu ce privilège.
Yahya est parti certes, mais sa page n’est pas encore tournée. Tôt ou tard il rendra des comptes au peuple gambien. Quand celui-ci aura fini de faire l’inventaire et constater l’ampleur des dégâts à l’actif du tyran, il se tournera certainement vers les juridictions, qu’elles soient nationales ou internationales, pour réclamer ses biens et exiger réparation. Le supposé accord que Yahya aurait négocié avec Condé et Aziz pour échapper à la guillotine, même s’il était authentique, n’engagerait aucunement ce peuple souverain plongé dans le pénombre pendant de longues années et qui vient de voir la lumière.
Amadou Kanouté