Anto Cocagne : « L’Afrique est pleine de belles surprises gustatives »

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SENTV : S’appuyant sur un parcours d’excellence, le « Chef Anto » entend faire connaître les mets africains au plus grand nombre.

Anto Cocagne : « L’Afrique est pleine de belles surprises gustatives »
Anto Cocagne ne s’arrête jamais. Depuis la région parisienne où elle vit, le « Chef Anto » se démène pour atteindre son objectif : faire connaître la cuisine africaine au plus grand nombre. Et la débarrasser une bonne fois pour toutes de ses clichés. Pour l’aider dans sa démarche, elle a, en quelques années, multiplié les projets. Cours de cuisine, conférences et plus récemment publication d’un livre de recettes… La trentenaire mise sur la pédagogie. Et ça marche. « Il y a dix ans, j’avais du mal à remplir mes cours de cuisine. Aujourd’hui, ils sont tous complets », affirme-t-elle fièrement. Et de poursuivre : « Ce que l’on ne connaît pas fait peur. C’est pour cela qu’il faut démocratiser notre cuisine, nos arts, notre culture pour que la gastronomie africaine trouve enfin sa place. » Au regard de l’engouement récent mais bien réel des Français pour les plats du continent, Anto Cocagne peut affirmer aujourd’hui que le combat porte ses fruits.

Se battre contre les clichés
Cela dit, la trentenaire a dû se battre contre bien des clichés, dont les premiers dans son pays d’origine : le Gabon. Quand, à 14 ans, elle décide d’être chef, la réponse de son entourage est cinglante : « La cuisine, ce n’est pas un métier ! » « On m’a dit : soit plus ambitieuse ma fille ! Pour ma famille, j’avais choisi la facilité, explique-t-elle. Mon père, ingénieur en hydrocarbures, ne voyait pas l’intérêt de me payer des études si c’était pour devenir ouvrière. » À côté d’un frère docteur en pharmacie, d’un autre expert-comptable et d’une sœur ingénieure en télécoms, difficile pour l’adolescente de faire valoir ses ambitions.

Qu’est-ce qui donc a finalement convaincu ses parents ?

La petite notoriété qu’Anto Cocagne a déjà acquise au lycée et dans tout son quartier, où elle vend depuis quelques années ses gâteaux, des muffins, des cakes et des pâtisseries « simples » qui lui permettent de se faire un peu d’argent. Et même parfois « un vrai salaire ».

Se former d’abord
À 18 ans, celle qui, avant d’être cheffe, se voyait hôtesse de l’air ou traductrice quitte le Gabon. Destination Grenoble où elle intègre une école hôtelière. L’adaptation au climat est difficile, mais la formation la passionne. Elle apprend mais découvre aussi avec surprise qu’elle possède un temps d’avance sur ses camarades. « Écailler et vider un poisson, c’était déjà de l’acquis pour moi. Alors quand, au premier cours sur le sujet, une élève s’est évanouie à la vue du sang et des viscères de l’animal, j’étais choquée ! » raconte-t-elle aujourd’hui. « Voir mes amis horrifiés par le dépeçage d’un lapin au pays de la gastronomie, je trouvais ça très bizarre », ajoute-t-elle. Après l’obtention d’un BTS, le « Chef Anto » poursuit ses études en licence où elle apprend à devenir gérante d’un restaurant, avant de conclure par un Bachelor à Paris. À la fin de ses études en 2010, elle rentre au Gabon, comme prévu. Mais le retour au pays se révèle compliqué : « Trouver du travail en cuisine en tant que femme a été très difficile. » « J’ai voulu faire un emprunt, mais les banques ne prêtent pas aux restaurants », déplore-t-elle. « J’ai compris qu’il fallait que je me fasse parrainer par quelqu’un, par un fils de… et je n’avais pas envie de ça », poursuit-elle.

Le difficile apprentissage du début
Alors, Anto Cocagne, à regret, est retournée en France. Et la voilà qui se lance dans sa démarche de démocratisation de la cuisine africaine. Même si, aujourd’hui, elle n’envisage plus un retour définitif au pays, elle n’exclut pas d’y avoir des projets. « J’ai envie d’investir là-bas, avoue-t-elle. Mais pourquoi pas aussi au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Rwanda également. Et pas forcément pour y ouvrir un restaurant. »

Son rêve ? Créer une école de cuisine. « Quand je suis là-bas, on me dit que les formations manquent. Et le peu qui existent enseignent la cuisine française. On apprend aux élèves africains à faire une béchamel, une mayonnaise ou un bœuf bourguignon. C’est bien, mais il faut désormais honorer la volonté qu’ont ces jeunes d’apprendre la cuisine de leur pays », dit-elle.

Pour aller plus loin, le « Chef Anto » a accepté de se confier au Point Afrique.

Le Point Afrique : D’où vous est venue la passion de la gastronomie ?

Anto Cocagne : Elle m’a été transmise par ma grand-mère. J’ai voulu en faire mon métier plus tard car j’adorais l’ambiance de la cuisine à la maison. On était entre femmes. On se racontait des potins avec ma mère et mes tantes. L’une était enceinte et avait mis son mari dehors (rires). C’était aussi un lieu d’entraide. On se donnait des conseils. Il y avait beaucoup de bienveillance.

Quel est le premier plat que vous avez cuisiné ?

Le premier produit que j’ai travaillé, c’était le riz, à neuf ans. Sa cuisson n’est pas si simple ! Je m’y suis reprise à de nombreuses fois avant de la maîtriser parfaitement. J’ai ensuite appris à cuisiner les racines et les légumes, et à piler les ingrédients à la force des bras. On ne cuisinait pas avec des robots ! La préparation des poissons et des viandes est venue après.

Avez-vous un plat emblématique ?

Je n’ai pas vraiment de plat préféré, mais il y en a un qui me rappelle des souvenirs de fêtes chez moi : le sanglier à l’odika, une sauce brune que l’on appelle aussi « chocolat indigène » à base d’amandes torréfiées. On l’utilise très souvent en association avec les viandes et poissons fumés. C’est un plat pour des invités de marque. Pour moi, une fête n’est pas une fête sans le sanglier à l’odika ! Il est commun à toute la région, mais chaque pays l’appelle différemment. Au Nigeria, on le nomme Ogbono. Au Cameroun, Dika. Avant de faire des recherches sur la cuisine africaine, je ne m’en étais jamais rendu compte. Il n’y a d’ailleurs que très peu de documents sur notre cuisine, qui est plutôt de tradition orale. Les premiers écrits l’ont été par les colons.

C’est pour cela que vous avez voulu écrire un livre de recettes africaines ?

Entre autres. Il y a quelques années, je m’amusais à transformer les recettes de Maxi Cuisine, de Cuisine Actuelle en changeant les ingrédients. Je faisais ma tartiflette avec de la banane plantain, ou un gratin avec du manioc. Il y a deux ans, l’occasion de faire un livre s’est présentée grâce à Aline Princet. Elle m’a confié avoir photographié beaucoup de recettes mais jamais de plats africains. Alors on s’est lancé. Quand on a proposé le projet à la première maison d’édition, elle n’a pas accroché. Selon elle, l’Afrique n’était pas encore dans l’air du temps. On a alors retravaillé le livre. J’y ai inclus des desserts par exemple et ça a plu aux Éditions Mango.

Comment avez-vous choisi vos recettes ?

Au départ, j’avais fait une liste d’une centaine de plats. Évidemment, beaucoup de choses ont été enlevées, comme les recettes avec des abats. Cela a fait peur à l’éditeur ! Je me suis battue pour garder celle des rognons. Les recettes à base de tripes, la queue de bœuf ou les pieds de cochon, que j’adore, ne font pas partie du livre. Le choix s’est fait selon des critères précis : il fallait des recettes « repères » traditionnelles et faire en sorte que toute l’Afrique soit représentée, surtout les régions ouest et centrale. Il y a eu au total six versions pour arriver à la version finale.

Vous êtes-vous toujours efforcée d’adapter votre cuisine à d’autres cultures ?

« Adapter », je ne sais pas si c’est le bon mot. J’ai d’abord fait un gros travail d’analyse. Je me suis demandé pourquoi les gens n’allaient pas dans nos restaurants, pourquoi nos cuisines faisaient peur. En réponse, on m’a dit « visuellement, les plats africains ne donnent pas envie ». Donc il fallait travailler l’image. Certains m’ont aussi répondu « il y a trop de piment partout ». J’en ai déduit que pour plaire au plus grand nombre, il fallait l’utiliser à petite dose, ou utiliser des piments doux, végétariens.

J’ai aussi souvent entendu « la cuisine africaine est trop grasse ». J’ai alors pensé à retravailler les sauces pour que, visuellement, on n’ait pas l’impression que ce soit trop gras. Cela m’a poussé à créer de nouvelles choses, comme des émulsions, que l’on ne retrouve pas dans la cuisine d’Afrique traditionnelle, mais que l’on fait pour une mayonnaise ou une béarnaise par exemple. La seule chose sur laquelle je n’ai pas voulu revenir, c’était le goût. Car je ne veux pas que quelqu’un du pays qui mange ma cuisine ne la reconnaisse pas.

Vous ne faites donc pas partie du mouvement dit de la cuisine « afro-fusion » ?

Cette cuisine est souvent faite par des chefs d’origine africaine qui ont grandi en France. Ils ont appris les techniques de la gastronomie dans des écoles françaises mais ont toujours mangé africain à la maison. Ils mélangent tout cela dans leur cuisine. C’est une cuisine métisse. Moi, j’ai grandi au Gabon, donc je ne me voyais pas faire une cuisine « fusion ». Je voulais faire de l’authentique. Le seul moment où je m’y autorise, c’est quand je fais un dessert.

Comment expliquez-vous la différence de notoriété entre la cuisine d’Afrique du Nord et celle des autres pays du continent ?

Déjà, le nord du continent est plus proche. En Afrique subsaharienne, le tourisme n’est pas aussi développé. Et c’est souvent lors de voyages que les gens découvrent des choses et ont envie de les retrouver chez eux. Et puis, il faut le dire, l’Afrique subsaharienne fait peur. Mais certains pays ont tout compris, comme le Sénégal, où tout est plus simple pour les voyageurs. Au Gabon, c’est plus difficile. On manque de routes, d’hôtels, de loisirs. Alors forcément, c’est plus compliqué d’attirer les touristes.

C’est dommage, car l’Afrique a vraiment du potentiel. Peu de gens savent par exemple que la gastronomie africaine a beaucoup de racines européennes, du fait de la colonisation. Au Cap-Vert, en Angola ou au Mozambique, d’anciennes colonies portugaises, on trouve la feijoada, un ragoût de haricots noirs avec des saucisses, typique du Brésil. Au Kenya, on boit autant de thé que les Anglais, et on mange des plats d’inspiration indienne. L’Afrique est pleine de belles surprises gustatives.

LePoint

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