Les risques d’une intervention militaire au Mali (Mouth BANE)

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SENTV : Le Sahel est devenu un carrefour géopolitique où s’affrontent des puissances étrangères antagonistes depuis les années 30. Et, au Mali plus particulièrement, se joue aujourd’hui l’avenir de l’Afrique de l’Ouest tant sur le plan économique, politique, militaire que géostratégique. Car, par procuration, deux camps opposés depuis la guerre froide s’affrontent dans cette partie de l’Afrique: la Russie et la Chine face aux Usa, à l’UE, la France qui entend maintenir son influence sur ses anciennes colonies.  Dans d’autres coins du monde, ces puissances s’affrontent. Par exemple en Ukraine, à Crimée, en Syrie, en Libye, en Centrafrique et aujourd’hui au Mali.

Les 13 et 14 janvier 2022, se tiendra la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, dite « Gymnich ». Pour confirmer la guerre d’influence entre l’UE et la Russie, ces ministres ont décidé de «la situation sécuritaire dans le voisinage oriental de l’Union européenne, notamment en Ukraine et en Biélorussie » selon une note du Quai d’Orsay sortie hier. Ceci prouve que les deux camps s’affrontent sur tous les fronts.

Ce croquis sur la situation actuelle dans ce pays, détermine les prémices d’une intervention militaire de la CEDEAO (version française) au Mali. Ce serait plus un conflit France/Russie, qu’une bataille purement africaine. L’on avait bien compris les fondements de l’intervention militaire de la CEDEAO en Gambie lorsque Jammeh voulait se maintenir au pouvoir. Mais, la différence est assez frappante comparée au dossier malien. Cette fois-ci, c’est la France qui s’évertue à barrer la route à la junte.

En outre, Paris a joué de toute son influence pour amener l’Union Européenne à sanctionner le groupe Wagner. Par cette même magie, l’Administration américaine a exclu le Mali et la Guinée de l’Agoa. Et bientôt, Bamako verra la suspension de l’aide de l’UE lorsque Macron prendra la présidence de cette organisation. Ce sont des formes de pression pour isoler le Mali sur le plan diplomatique et l’étouffer au plan économique et financier. Arrivera-t-il à influencer Macky SALL prochain président de l’Union africaine ? D’ailleurs, selon le Quai d’Orsay, «la présidence française du Conseil de l’Union européenne organisera une session de travail conjointe dans la perspective du sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine des 17 et 18 février 2022. Cette session de travail, à laquelle ont été invités M. Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, et Mme Aissata Tall Sall, ministre des affaires étrangères de la République du Sénégal, sera l’occasion d’échanger sur l’avenir des relations entre l’Union européenne et l’Union africaine ». Le Ministère des Affaires étrangères de France a ajouté que «les ministres pourront aborder tout autre sujet de l’agenda international». Ce qui n’est rien d’autre qu’une fenêtre ouverte pour introduire le dossier malien dans «l’agenda international».

En Afrique subsaharienne, l’approche stratégique de Paris a connu des mutations. Par exemple,  pour la nomination des nouveaux ambassadeurs, le choix est porté sur des caciques de la communauté des renseignements français. Plusieurs anciens fonctionnaires de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE) sont nommés ambassadeurs. Cette approche répond à des objectifs géostratégiques visant à perpétuer l’influence française en Afrique surtout.

Lorsque la menace terroriste s’est accentuée au Nord Mali et dans le Sahel, les États-Unis ont financé la mise en place d’une structure qui a donné naissance au G5 Sahel né des cendres de « Processus de Nouakchott« .  Le financement initial fut accordé par Washington, arrivera ensuite la France dont l’objectif c’était d’empêcher l’éclosion de l’influence américaine dans l’espace CEDEAO après la création d’AFRICOM.

François Hollande et Emmanuel Macron porteront le dossier de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel aux Nations Unies, à l’UE, au G7 et au G20. Sans oublier le lancement par Paris de l’opération Barkhane en 2014 après Serval en 2013 puis Takuba en 2020. Mais, aujourd’hui, la France ne veut plus être en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. Elle a procédé par un éclatement des responsabilités au front entre ses alliés de l’UE et les forces de la MINUSMA pour servir de forces supplétives à l’armée malienne.

Malgré cela, les groupes terroristes n’ont pas perdu leur force de frappe car plusieurs soldats maliens, français et d’autres pays ont été tués. Toutefois, depuis le départ de l’armée française du nord Mali, les attaques terroristes sont devenues moins fréquentes. Est-ce une coïncidence ? Dans tous les cas, ce fut une condition préalable des groupes armés avant d’engager des négociations avec Bamako qui n’était sur les mêmes longueurs d’onde avec Paris. C’était sous le magistère d’IBK.

Au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, les rôles sont bien répartis, car Paris a l’exclusivité sur tous les dossiers qui touchent ses anciennes colonies. C’est un ordre établi depuis la fin de la 2e guerre mondiale. Au niveau des hautes instances de décision de la gouvernance mondiale, cet ordre est accepté. Voilà pourquoi, Paris s’était toujours mis au premier plan, lors des crises en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Mali, en Guinée, au Niger et même en Libye.

Seulement, la Russie a brisé cette entente en Afrique francophone, entre puissances occidentales, en y déployant, depuis quelques années son soft power. Pour n’avoir jamais colonisé un pays africain, la Russie est vite adoptée par certains dirigeants africains et a gagné la confiance de l’élite et de la jeunesse africaines, comme c’est le cas en Centrafrique, au Mali, en Algérie, au Soudan, etc.

Lorsque Paris joue de toute son influence pour s’opposer à la signature de contrats de vente d’’armes entre ses anciennes colonies et la Russie, Moscou semble avoir misé sur la jeune génération de leaders africains. Et le sentiment anti français  s’hypertrophie au sein des masses intellectuelles là où la Russie gagne en sympathie.

La forte présence française est mal vue par la jeunesse africaine. Même si ce n’est pas toujours avéré parce que jamais prouvé, les Africains imputent à la France les échecs de leurs dirigeants dont le résultat est la pauvreté et le sous-développement.

En tout état de cause, ce que les Russes ont réussi en Centrafrique malgré l’opposition de Paris, ils sont en train de le répéter avec succès au Mali. Rappelons que Bangui est mise sous embargo par les Nation Unies avec l’implication de la MINUSCA contrôlée à 90% par des fonctionnaires français sous la direction d’un Sénégalais Mankeur Ndiaye adoubé par le Quai d’Orsay. En dépit de cela, Paris n’a pas réussi à influencer en sa faveur, le déroulement des événements. Et les tentatives de renversement du régime de Bangui, par François Bozizé financé, armé et logé à l’hôtel Radisson Blue de Ndjiamena n’ont pas encore connu de succès grâce aux armées russe, centrafricaine et rwandaise.

Aujourd’hui, les sanctions de la CEDEAO contre le Mali rappellent l’ensemble des mesures prises contre Bangui sous la dictée de Paris. C’est par la grâce de Moscou que le régime de Touadera a pu résister aux assauts des groupes armés malgré le refus de Paris d’accompagner la demande de levée de l’embargo sur les armes aux Nations Unies.

Bamako a bien analysé et compris l’expérience centrafricaine. Et la grosse erreur commise par la CEDEAO, c’est d’avoir engagé des sanctions, sans épuiser toutes les voies possibles de dialoguer avec la junte.

A y voir de plus près, on se rend compte que le dossier malien est devenu une affaire personnelle entre Goita et Macron. Pour la première fois, le jeune président français se retrouve dans une situation d’impasse, qui risque de le discréditer aux yeux de ses compatriotes, à quelques semaines de la présidentielle française.

La junte malienne n’arrive pas à comprendre le double jeu de Macron entre le Tchad et le Mali. Face à deux coups d’Etat, le président français soutient Mahamat Kaka Idriss Deby et dicte des sanctions contre Goita. En vérité, Assimi Goita a refusé, ce que Mahamat Kaka a accepté. Aux moments où le Tchad accepte de rester dans le giron français, Bamako lui ouvre ses bras à Moscou pour suivre l’exemple de Bangui. Or, Paris craint de subir à Bamako, l’échec qu’il a vécu à Bangui. Voilà ce qui explique l’instrumentation de la CEDEAO par la France pour étouffer Bamako afin de perturber les schémas de Moscou. Les hostilités de la presse française contre la Russie et le groupe Wagner, obéissent à une stratégie de diabolisation de ce pays qui semble avoir réussi son retour en terre africaine.

Selon des informations crédibles, des forces russes seraient présentes au nord Mali. Par ailleurs, Paris a mal vu les armes achetées à Moscou par les nouvelles autorités maliennes pour faire face aux groupes terroristes. Mieux encore, sous les magistères de Yaya Jammeh en Gambie, du Général Aziz en Mauritanie, d’Alpha Condé en Guinée des accords militaires auraient été signés avec la Russie. Aujourd’hui,  c’est le Mali qui entre dans le cercle des pays francophones nouveaux alliés de la Russie en Afrique de l’Ouest. Voilà ce que Paris cherche à casser en utilisant la CEDEAO, parce que consciente qu’une fois installée au Mali, la Russie n’aurait aucune difficulté pour étendre son influence dans tout le Sahel.

LES CONSEQUENCES D’UNE INTERVENTION MILITAIRE AU MALI SUR LE SENEGAL

Alors, ce serait suicidaire pour les armées de la CEDEAO d’engager une guerre contre le Mali nouvel allié stratégique du Moscou. Des sources crédibles nous ont appris que les Russes ont créé des bases dans le Nord Mali pour mieux contrôler l’espace terrestre et aérien et d’aider l’armée malienne dans la sécurisation de son territoire.

Une bataille par procuration entre la France (CEDEAO) et la Russie aurait des conséquences dramatiques dans tout l’espace sahélien surtout au Sénégal.

Le Sénégal serait une victime directe d’une intervention militaire au Mali. Ensuite, bien qu’il soit un pays voisin du Sénégal, les autorités maliennes n’ont jamais accepté le Sénégal, comme membre du G5 Sahel. IBK ne s’entendait pas avec son frère Macky Sall qu’il soupçonnait de soutenir Soumaila  CISSE son principal opposant. Et, Idriss Deby, le Général Aziz n’avaient pas fait mieux qu’IBK en faveur du Sénégal.

Comme ce fut le cas lors de la guerre en Côte d’Ivoire en 2010, si une intervention militaire était prévue à Bamako, Dakar pourrait être l’une des bases des forces d’intervention. Mais, le président Macky Sall qui présidera l’Ua en Février prochain, courrait le risque de subir une opposition farouche de l’opinion publique nationale. Car on verrait mal que les populations sénégalaises soutiennent une intervention militaire contre le Mali à partir de Dakar. Cela renforcerait le sentiment anti français qui a déjà gagné la jeunesse sénégalaise.

Et ce serait suicidaire pour Dakar de s’engager dans un conflit où il comptera la Russie parmi ses adversaires si les Russes accepteraient de défendre le territoire malien. D’ailleurs, c’est même un risque pour l’ensemble des chefs d’Etat de la CEDEAO qui semblent se ranger du côté de Paris qui s’oppose à la Russie. Or, ce que les Américains et les Français n’ont pas réussi en Syrie, Paris ne pourra pas le réaliser à Bamako, si effectivement, Moscou décidait d’accompagner les autorités maliennes. Alors, la meilleure solution ce n’est pas d’engager une intervention militaire contre le Mali. Et le bon sens recommande au président Macky Sall de s’y opposer.

Ensuite, sur le plan économique, Dakar perdrait plusieurs centaines de milliards du fait d’une baisse considérable des importations maliennes via son port. Par contre, Bamako aura la possibilité d’importer  via la Mauritanie, l’Algérie et la Guinée.

La Russie et la Chine pourraient fournir de l’aide au Mali afin de l’aider à mieux supporter les sanctions, même s’il faut payer les salaires des fonctionnaires au besoin. Toutefois,  la CEDEAO aura le mérite de pousser les autorités maliennes à rechercher et à trouver d’autres moyens de contourner le port de Dakar pour s’approvisionner en denrées de grandes consommations.  Ce serait alors, un coup dur contre le Port de Dakar, avec des conséquences directes sur le commerce intérieur informel, dans lequel évolue une grande partie des jeunes, surtout les femmes.

Le transport sur l’axe Dakar, Mbour, Kaolack, Kaffrine, Kidira jusqu’au Mali serait impacté avec une perturbation des échanges commerciaux et du petit commerce sans oublier le secteur des hydrocarbures. Ainsi, en pleine campagne électorale aux élections locales, les sanctions contre le Mali tombent, provoquant des frustrations chez les transports qui viennent de sortir d’une grève nationale.

Sur le plan humanitaire, déjà plus de 50.000 enfants sans domicile fixe, circulent à Dakar avec leurs parents. La majeure partie de ces enfants viennent du nord Mali d’où ils ont fui la menace terroriste. Certains se sont insérés dans le tissu mendicité locale très rentable, d’autres ont intégré la délinquance urbaine.

Ce déplacement de populations maliennes vers le Sénégal crée un déséquilibre social avec des risques de contamination de la menace terroriste. Les villages frontaliers seraient les plus exposés par cette migration des populations.

Les groupes armés pourraient, en cas de conflit militaire, s’approcher des frontières sénégalaises pour s’installer dans les villages. Ils peuvent aussi effectuer un déplacement vers les zones urbaines.

Une intervention militaire serait le meilleur moyen pour faciliter l’entrée des bandes armées maliennes sur le territoire national sénégalais. Il peut en découler la fermeture des écoles du fait de la perturbation du calendrier scolaire, sans oublier les conséquences sur l’économie locale (l’agriculture, l’élevage, le commerce, le transport), le fonctionnement de l’administration territoriale, la douane et un affaissement certain du système de santé local…

Par ailleurs, au niveau de Kédougou, les unités de production de l’or risquent de cesser leurs activités avec des conséquences sur les recettes minières. Il faudra aussi craindre une circulation des armes légères dans les villages sénégalais frontaliers au Mali.

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