Afghanistan retour des taliban au pouvoir : l’avenir de l’État Islamique en question.

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SENTV : En Afghanistan, la boule a encore tourné. Les taliban qui avaient été chassés du pouvoir par les américains en 2001 pour avoir refusé de livrer Oussama Ben Laden, sont de retour aux affaires. Lancée au mois de mai, leur offensive s’est soldée par une victoire le 15 août dernier, avec la prise du palais présidentiel à Kaboul précédé par la fuite du président Ashraf Ghani au Tadjikistan.
Ce changement de régime ne laisse pas indifférent la communauté internationale. De même, l’État Islamique qui compte une province dans ce pays aura fort à faire pour continuer d’exister sous le règne des Taliban avec qui ils sont en conflit ouvert depuis 2015. Quel sera leur avenir ? Dakaractu a posé la question à Matteo Puxton. Mais au préalable, le spécialiste de la stratégie militaire et de la propagande de l’État Islamique a fait la présentation de cette succursale peu connue.

Pouvez-vous faire la genèse de la filiale de l’État Islamique en Afghanistan ?

Elle est née par le ralliement de militants pakistanais, installés depuis longtemps dans les montagnes de Spin Ghar, au sud-est de la province de Nangarhar, près de la frontière pakistanaise et de ses zones tribales. Il s’agit de militants des taliban pakistanais (TTP) qui avaient fui une offensive de l’armée pakistanaise en 2010 et qui ont trouvé refuge en Afghanistan, dans ce secteur. 

Le gouvernement afghan, au départ, ne réagit pas, car il compte utiliser ces taliban pakistanais contre le Pakistan, de la même façon que ce dernier emploie les taliban afghans contre Kaboul. La mort du chef du TTP, Hakimullah Mehsud, en novembre 2013, renforce l’autonomie de ces combattants du Nangarhar, appuyés par d’autres qui arrivent après une nouvelle offensive de l’armée pakistanaise dans les zones tribales entre octobre 2014 et mars 2015 (ils sont alors plus d’un millier). 

Les militants du Nangarhar prêtent à ce moment-là allégeance à l’EI, ce que le groupe annonce officiellement fin janvier 2015 avec la création d’une province (wilayat) Khorasan. Les taliban avaient connu des défections ailleurs, dès les derniers mois de 2014 : le n°2 de la province de Helmand avait rallié l’EI en janvier 2015, mais est tué dans une frappe de drone dès février 2015. Les taliban écrasent aussi des membres ralliés à l’EI dans les provinces de Farah et de Logar, et surtout de Zabul, où plusieurs centaines de combattants du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MOI) avaient rallié l’EI. 

Les taliban les exécuteront massivement en novembre 2015. Enfin, l’EI arrive à s’implanter au Kunar, par ralliement d’un chef des taliban afghans et d’un autre des taliban pakistanais. Le sanctuaire de l’EI reste toutefois la province du Nangarhar. Le groupe obtient cependant le ralliement d’un chef de district taliban ouzbek en rupture de ban, Qari Hekmat, dans le nord de l’Afghanistan, au sein de la province de Jawzjan. Mais les deux branches évoluent indépendamment, séparées géographiquement.

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Afghanistan / Retour des taliban au pouvoir : l’avenir de l’État Islamique en question.

 

Ils ont profité de la faiblesse relative des taliban au Nangarhar, ainsi que des forces gouvernementales, alors même que le secteur recelait des militants en recherche d’allégeance et beaucoup de salafistes dans les rangs même des taliban. La corruption détourne encore plus qu’ailleurs les élites provinciales de la population, qui contrôlent de moins en moins le territoire à partir de 2011. 

 L’armée nationale afghane, qui prend la suite de la force internationale fin 2013, reste largement confinée dans les villes. Côté taliban, l’organisation n’est pas aussi structurée dans le Nangarhar que dans le sud du pays, et a du mal à contrôler les combattants, démettant aussi souvent les chefs qui ne remplissent pas leur mission. On le constate à l’activité criminelle endémique qui frappe la province, et qui est notoirement le fait des insurgés. Par ailleurs, la province de Nangarhar baigne dans le salafisme, une doctrine qui n’a pas l’heur de plaire beaucoup aux taliban, fidèles à l’école hanafite. L’alliance pragmatique qui s’était établie entre les salafistes et les taliban se défait avec l’émergence de la province Khorasan, au Nangarhar, mais on le voit aussi dans une moindre mesure au Kunar. En outre, l’émergence de l’EI se fait sur un terreau où la structure tribale a été fragilisée selon l’engagement des uns et des autres dans les différents camps en présence.

 A-t-on assisté à des combats entre les deux groupes comme c’est le cas en Afrique de l’Ouest (entre le JNIM et l’EIGS) et dans la zone syro-irakienne ?

 Oui, et dès le départ. À l’automne 2014, les militants pakistanais s’autonomisent de plus en plus du TTP, font venir des armes du Pakistan, transportées par mules jusqu’à la vallée de Mamand du district d’Achin, au Nangarhar, qui va devenir le premier bastion de l’EI. Les habitants, au départ, se félicitent de l’arrivée des militants pakistanais, qu’ils voient comme un rempart face aux taliban afghans. Ceux-ci, auxquels les militants pakistanais reprochent d’être trop proches du gouvernement d’Islamabad, tentent de négocier avec l’EI, mais celui-ci déclenche rapidement l’affrontement. L’EI a assassiné le gouverneur taliban du Nangarhar à Peshawar en juin 2015. Les taliban afghans dépêchent alors des troupes d’autres provinces pour investir les secteurs tenus par l’EI au Nangarhar. Ils appuient aussi les premières révoltes de la population contre l’EI. Toutefois, celui-ci se montre particulièrement coriace, reprenant son bastion de Mamand dont il avait été chassé par les talibans, montant des contre-attaques, et parvenant à se maintenir dans plusieurs districts de la province.

 Ce sont les taliban qui finissent par éliminer la branche nord de l’EI dans le Jawzjan, après la mort de Qari Hekmat tué dans une frappe américaine en avril 2018. Il faudra un mois d’offensive, en juillet-août 2018, pour que les taliban en viennent à bout. La perte du Nangarhar pour l’EI en novembre 2019 est obtenue à la fois par le mécontentement de la population, qui se soulève et force des milices anti-EI, par la météo très dure qui affaiblit les capacités de l’EI, par les offensives de l’armée depuis 2017, soutenues par les frappes américaines, qui ont pressé l’EI, mais le coup final est porté par les taliban. Le schéma est un peu le même au Kunar, où les survivants de l’EI s’étaient réfugiés : en février-mars 2020, les talibans portent l’estocade finale à l’EI, mais ils profitent d’un soulèvement de la population qui là encore a formé des milices anti-EI, et de l’accord conclu avec le gouvernement de Kaboul, qui va bombarder l’EI, tout comme les Américains… qui frapperont toutefois au passage les taliban, également.

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Quelles sont les nationalités qui combattent avec l’État Islamique en Afghanistan ? Que sait-on de son chef ?

 La province Khorasan comprend comme on l’a dit des Pakistanais, mais aussi de nombreux Afghans. Les combattants d’Asie centrale étaient bien représentés dans la branche nord du Jawjzan, défaite par les talibans en 2018, mais il y en avait aussi au Nangarhar et au Kunar. Un Français s’est rendu aux taliban dans la province de Jawjzan. Les cellules de l’EI qui pratiquent le terrorisme urbain à Kaboul depuis 2016 et Jalalabad depuis 2017 ont également mobilisé des combattants étrangers. En mars 2020, ce sont 2 Indiens de l’État du Kerala qui attaquent un temple sikh à Kaboul. En août 2020, le commando de 11 hommes qui attaquent la prison de Jalalabad pour faire évader les prisonniers de l’EI comprend un certain nombre de Tadjiks.

 Le dernier chef en date de la wilayat Khorasan, assez mystérieux, est al-Shahab al-Muhajir. Le titre de wali au Khorasan est d’ailleurs particulièrement périlleux : 4 gouverneurs ont été tués à ce poste, et l’EI a été un temps divisé entre une faction autour d’un chef au nord et une autre autour d’un autre chef au Nangarhar, jusqu’à la défaite de Qari Hekmat à l’été 2018. Certaines sources pensent qu’al-Muhajir, comme sa kounya l’indique, serait un étranger, un Irakien qui aurait séjourné dans la zone et serait lié précédemment à al-Qaïda, ou un Syrien qui aurait été choisi par le commandement central de l’EI. 

C’est le porte-parole de la province, Sultan Aziz Azzam, qui s’occupe des messages audio délivrés par la province Khorasan. Cela rappelle la stratégie de l’actuel chef de l’EI, Abou Ibrahim, qui depuis sa nomination en novembre 2019, ne s’est jamais exprimé dans un message audio, laissant ce soin à son porte-parole Abou Hamza, et n’est pas encore apparu en images dans la propagande de l’EI. C’est pourquoi d’autres sources pensent que le nouveau wali est un Pakistanais, originaire de Bajaur, un vétéran, qui cultive le secret.

En tout état de cause, sa nomination a été officialisée en juin 2020, 2 mois après la capture du wali précédent par les forces afghanes. Il faut se souvenir aussi que la province Khorasan est particulièrement bien reliée au commandement central de l’EI : plusieurs délégations venues de Syrie/Irak ont fait le voyage vers l’Afghanistan depuis 2015, notamment pour des changements de commandement, et la province reste connectée à la propagande centrale de l’EI comme le montre la diffusion d’une vidéo longue du 20 juillet. Et ce, même si la wilayat Khorasan avait commencé à multiplier les productions non officielles, y compris vidéos, depuis l’automne 2020.

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Quels sont ses modes d’action ?

Après sa défaite territoriale consommée en mars 2020, l’EI est revenu à ce qu’il faisait à Kaboul et Jalalabad dès 2015-2017 : le terrorisme urbain. Sa cible principale reste le gouvernement afghan et ses forces de sécurité, et les Hazaras, une communauté afghane chiite, l’EI ayant une aversion toute particulière pour ce courant de l’Islam. Le groupe a donc multiplié les attaques à l’engin explosif improvisé, les assassinats ciblés notamment avec des armes à silencieux. 

Il a conduit plusieurs attaques spectaculaires à des fins de visibilité avec des commandos inghimasiyyoun, comme l’attaque de la prison de Jalalabad qui répond aussi à une volonté du commandement de l’EI (libérer les djihadistes emprisonnés), ou par des tirs de roquettes, que ce soit sur les zones sécurisées de Kaboul ou sur la base aérienne de Bagram par exemple. L’EI s’en prend aussi aux taliban, à Kaboul, à Jalalabad, et jusqu’au Pakistan où il opère aussi : plusieurs assassinats ont été revendiqués à Peshawar et une attaque kamikaze à Quetta également. Cette année, en plus de ces zones d’activité traditionnelles, l’EI a activé des cellules dans d’autres secteurs : la province de Parwan, Kunduz, la province de Samangan, Herat où il avait déjà frappé par le passé… Une campagne a notamment été menée contre les pylônes électriques, de même que contre les camions-citernes transportant le carburant, pour affaiblir le gouvernement. Tout récemment, l’EI central aurait remis sous le commandement de la province Khorasan la branche pakistanaise qui en avait été détachée en mai 2019.

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Avec le retour des Taliban au pouvoir, comment voyez-vous l’avenir de l’Etat Islamique en Afghanistan ?

Les deux groupes sont en conflit ouvert depuis 2015. D’ailleurs l’Etat Islamique a déjà revendiqué plusieurs attaques contre les taliban dans des zones que ceux-ci viennent juste de conquérir (Kunduz, Jalalabad). Ce qui va être intéressant, c’est d’observer la posture de l’État Islamique maintenant que toutes les zones où le groupe opère avec ses cellules clandestines sont passées sous le contrôle des taliban : l’EI va-t-il poursuivre de façon similaire en visant les taliban au risque d’être peut-être davantage sous pression que face au gouvernement afghan, ou va-t-il modifier ses objectifs pour survivre dans un environnement a priori plus hostile que le précédent ? Les taliban vont-ils faire la chasse à ces cellules clandestines de l’EI ? Nous sommes dans une configuration qui rappelle un peu celle d’Hayat Tahrir al-Sham et des cellules de l’EI à Idlib en Syrie, même si les contextes sont très différents. Les taliban ont donné le ton, en tout cas, rapidement : les taliban ont extrait de la prison Pul-e-Charkhi à Kaboul Zia Ul Haq, alias Abou Omar Khorasani, l’ancien wali de la province Khorasan que les forces de sécurité avaient capturé en mai 2020, et l’ont abattu. Il a été enterré dans sa province natale du Kunar.

Peut-on envisager que les États-Unis aient décidé de se retirer pour fragiliser l’État Islamique au profit des Taliban « moins radicaux » et moins menaçants pour la sécurité de l’Occident ?

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Je ne le pense pas. L’État Islamique Khorasan est une menace beaucoup moins importante, en l’état, que les taliban : il ne contrôle plus de territoire, il continue d’être présent, mais dispose de beaucoup moins de moyens, y compris financiers, pour ses opérations, et pour planifier des attentats en dehors de l’Afghanistan même (cependant, il essaie de le faire, comme le prouve le cas de la cellule tadjike démantelée en Allemagne en avril 2020). D’autant plus que comme je l’ai dit ci-dessus, l’État Islamique a médiatisé depuis mai 2019 sa présence au Pakistan et en Inde (Cachemire) en créant deux provinces séparées de la province Khorasan. Il reste aussi actif ponctuellement au Bangladesh et en Asie centrale. Anéantir le groupe en Afghanistan ne suffira donc pas. Par ailleurs, les Américains étaient clairement sur une logique de retrait, et ce depuis longtemps, d’où les frappes aériennes qu’ils ont menées au Nangarhar et au Kunar en 2019-2020 pour éliminer les derniers bastions territoriaux de l’EI, après avoir engagé des forces spéciales précédemment au sol au Nangarhar, notamment…
Dakaractu

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