« Au revoir » Giscard d’Estaing, doyen de la Ve République

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SENTV : Valery Giscard d’Estaing s’est éteint, mercredi, à l’âge de 94 ans. Le plus jeune président de la Ve République de l’époque (47 ans) a su rénover la société française, avant que ce grand défenseur de l’Union européenne ne sombre dans l’oubli.
Une page se tourne pour l’histoire politique de France. Le mercredi 2 décembre s’est éteint Valery Giscard d’Estaing, doyen de la Ve République.
Admis en septembre dernier à l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, celui qui fut président de la République de 1974 à 1981 avait de nouveau été hospitalisé à Tours (Indre-et-Loire), en novembre.
Lors de son unique septennat, il avait su se bâtir une image de président moderne et réformateur, mais qui aura très vite subi le désamour des Français, avant de voir son nom sombrer dans l’oubli. Au point qu’en 1996, après les obsèques de François Mitterrand, l’ancien ministre André Santini lâche : « Je ne me souviens pas qu’on en ait fait autant pour Giscard. »
« Giscard à la barre »
Des décennies avant Emmanuel Macron, Valery Giscard d’Estaing était déjà un président « en marche ». C’est à pied et sous les vivats de la foule qu’il fait son entrée à l’Élysée le 27 mai 1974.
« De ce jour, date une ère nouvelle de la politique française. […] Ainsi, c’est moi qui conduirai le changement, mais je ne le conduirai pas seul. […] J’entends encore l’immense rumeur du peuple français qui nous a demandé le changement. Nous ferons ce changement avec lui, pour lui, tel qu’il est dans son nombre et dans sa diversité, et nous le conduirons en particulier avec sa jeunesse », déclare-t-il.
Valery Giscard d’Estaing n’est pas inconnu. Il est alors déjà un habitué des salons du pouvoir. Il a commencé sa carrière politique sous la IVe République et sera réélu député sous la bannière de la Fédération nationale des républicains indépendants (FNRI), deuxième force de la majorité de droite, sans discontinuer jusqu’au sacre présidentiel. Il est ministre des Finances sous Charles de Gaulle puis George Pompidou, auquel il succèdera après son décès en avril 1974, avant le terme de son septennat.
Lors de la courte campagne électorale, Valery Giscard d’Estaing avait su se démarquer grâce à une communication novatrice : les Français ont vu le futur président skier à Courchevel, disputer une partie de football, jouer de l’accordéon à la télévision ou encore poser en maillot de bain. Il est également soutenu par des artistes comme Brigitte Bardot, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, Alain Delon qui arbore T-shirts et autocollants contribuant à populariser son slogan : « Giscard à la barre ».
Il ringardise ainsi le vieux gaulliste Jacques-Chaban Delmas au premier tour.  Au second tour, attaqué sur la question sociale par son adversaire socialiste François Mitterrand lors du débat télévisé, il répond avec le célèbre : « Vous n’avez pas le monopole du cœur ». Quelques jours plus tard, il l’emporte avec 50,81 % des suffrages et 424 599 voix d’avance sur son adversaire, dans l’élection à ce jour la plus serrée de l’histoire de la Ve République. Selon les analystes de l’époque, sa formule aurait contribué à faire pencher la balance en sa faveur. Il est alors, à 47 ans, le plus jeune président élu de la Ve République.
Un président libéral et réformateur
Dès son arrivée à l’Élysée, VGE entreprend de moderniser la société française. « La France doit devenir un immense chantier de réformes », déclare-t-il dès son premier conseil des ministres. Les actes suivent. Il abaisse la majorité civile à 18 ans, instaure le divorce par consentement mutuel et assouplit la mainmise de l’État sur l’audiovisuel en éclatant l’ORTF. Il fait également voter la dépénalisation de l’avortement, portée par sa ministre de la Santé, Simone Veil. Le tout contre sa propre majorité conservatrice.
Si Giscard d’Estaing réussit à réformer le pays au niveau sociétal, il se heurte à des difficultés économiques et une forte poussée du chômage lorsque se font sentir les conséquences du premier choc pétrolier de 1973. Dès 1976, il nomme l’économiste Raymond Barre à Matignon. C’est le virage de l’austérité et de la rigueur et le début de la fin de la popularité de Giscard.
Une popularité que “l’affaire des diamants de Bokassa” va contribuer à effriter. En octobre 1979, le Canard enchaîné révèle cette affaire, qui remonte à 1973. L’ancien empereur de Centrafrique, Bokassa 1er avait alors remis de façon confidentielle des diamants à Valéry Giscard d’Estaing, qui était alors ministre des Finances et ami de chasse de longue date. Le président évoque un simple cadeau dans l’exercice de ses fonctions et dément le montant des diamants. Mais dans l’opinion, le mal est fait : Valéry Giscard d’Estaing est désormais perçu comme un aristocrate, déconnecté des réalités des Français. On lui reproche ses origines – il vient d’une vieille famille bourgeoise remontant à l’Ancien régime –, ses parties de chasses et son goût pour les châteaux.
Son unique mandat est surtout marqué par d’importantes divisions à droite. En arrivant au pouvoir, il doit composer avec la majorité gaulliste de l’Assemblée nationale. Il nomme alors Jacques Chirac Premier ministre, le début d’une relation faite d’hostilités et de détestation cordiale. Jacques Chirac trouve cet homme, issu d’une vieille famille bourgeoise, hautain et méprisant. Après son départ fracassant de Matignon, une guerre ouverte éclate entre les deux hommes. Lorsque le Corrézien se présente pour être maire de Paris, Valéry Giscard d’Estaing lui oppose un candidat maison. Lors des élections européennes de 1979, Jacques Chirac lance son « appel de Cochin », dans lequel il qualifie le parti de son concurrent, trop pro-européen à ses yeux, de « parti de l’étranger ».
Éliminé au premier tour de la présidentielle de 1981 face à son rival, Jacques Chirac torpille la réélection de Valery Giscard d’Estaing. Au lieu d’annoncer le ralliement de son parti en bonne et due forme, il déclare qu’il voterait « à titre personnel » pour lui. L’état-major chiraquien aurait également appelé discrètement à voter Mitterrand.
L’impossible retour
Valéry Giscard d’Estaing ressort humilié de cette présidentielle. François Mitterrand prend sa revanche lors du débat télévisé en le qualifiant d' »homme du passif », lui qui avait traité le socialiste d' »homme du passé ». Pour boucler la boucle, il veut faire sa sortie de l’Élysée à pieds, mais les huées des militants le raccompagnent jusqu’à sa voiture.
Son « au revoir » est devenu mythique. Le 19 mai 1981, Valéry Giscard d’Estaing, battu par François Mitterrand, fait depuis l’Élysée des adieux très solennels aux Français. « Je viens vous dire très simplement au revoir », explique-t-il, avec beaucoup de retenue, assis à un bureau sur lequel trône un bouquet de fleurs. Une fois ce long discours conclu, un silence s’installe et  VGE termine par un « au revoir”. Et de quitter la pièce. La caméra filme toujours l’image d’une chaise vide, alors que retentit « La Marseillaise ». La séquence passe à la postérité.
VGE ne veut cependant pas abandonner la vie politique. Il refuse de siéger au Conseil constitutionnel pour s’éviter un devoir de réserve.  Voulant repartir de zéro, il se fait élire conseiller général à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, lors des cantonales de 1982, puis député aux législatives de 1984. Il laisse son ancien Premier ministre Raymond Barre se casser les dents comme candidat du centre à la présidentielle de 1988 et laisse planer l’idée d’être un recours pour le futur.
« Je ne voudrais pas que vous disiez : ‘Giscard nous laisse tomber’. S’il y avait des circonstances difficiles ou des problèmes graves qui se présentaient à notre pays, vous pourriez toujours compter sur moi », déclare-t-il sur Antenne 2, dans une intervention savamment calculée.
Un européiste convaincu
Il espère revenir au premier plan à l’occasion des législatives de 1993. Mais une alliance entre Jacques Chirac (RPR) et Édouard Balladur (UDF) met un terme à ses rêves de Matignon. Puis, longtemps crédité de 2 % dans les sondages pour la présidentielle de 1995, il finit par jeter l’éponge et soutenir son vieil ennemi Jacques Chirac.
Une trêve dont il profite pour poursuivre son engagement européen. Appuyé par Jacques Chirac, il prend en 2001 la tête de la Convention européenne, qui est chargée d’élaborer pour la première fois une Constitution pour l’Europe.
Pour Valéry Giscard d’Estaing, l’Europe est l’engagement de toute une vie. En 1957 déjà, jeune député de la IVe République, il avait exprimé dans un vibrant plaidoyer à l’Assemblée nationale sa « foi raisonnée » dans l’Europe, appelant à la ratification du Traité de Rome. Il s’affirme partisan d’une « troisième voie », entre une « Europe supranationale et une Europe des États ».
Sous sa présidence, la France est actrice de l’approfondissement de la construction européenne. Avec Helmut Schmidt, chancelier d’Allemagne, il crée le Conseil européen en décembre 1974 et lance le système monétaire européen, précurseur de l’union monétaire et de l’euro. Enfin, il ratifie l’élection d’un Parlement supranational européen au suffrage universel direct, donnant lieu aux premières élections européennes en 1979.
Valéry Giscard d’Estaing est à l’origine d’un autre club multilatéral : le 15 novembre 1975, il réunit les représentants des États-Unis, du Japon, de la France, de l’Allemagne de l’Ouest et du Royaume-Uni au château de Rambouillet. C’est la naissance du G5 – devenu depuis G7 avec l’ajout de l’Italie et du Canada – qui rassemble tous les ans les chefs d’État pour aborder les questions économiques et financières d’actualité.
Élu à l’Académie française en 2004
C’est dans un exutoire inattendu que l’ancien président va trouver refuge une fois passé l’âge des responsabilités politiques : la littérature. Soutenu notamment par Jean d’Ormesson, il est élu à l’Académie française le 11 décembre 2003. Une élection qui apparaît comme davantage politique que littéraire car Valéry Giscard d’Estaing n’a alors écrit que des essais politiques, ses propres mémoires et un surprenant roman semi-érotique « Le Passage », dans lequel il met en scène une histoire d’amour entre un notaire et une auto-stoppeuse.
En 2009, il récidive avec « La Princesse et le Président », qui traite d’une relation sentimentale entre deux personnages rappelant Lady Diana et lui-même, ravivant les rumeurs d’une liaison. Il affirmera avoir « tout inventé ». Pourtant, une sulfureuse réputation de Don Juan colle à la peau de l’ancien président, puisqu’on lui a longtemps prêté une liaison avec une célèbre actrice. La véracité de cette liaison aurait par ailleurs longtemps obsédé son rival Jacques Chirac. Rival qu’il enterra en 2019 alors même que le Corrézien n’aimait rien tant que moquer l’âge de Valéry Giscard d’Estaing.
En 2012, Valéry Giscard d’Estaing avait prévenu François Hollande : « Il pourrait advenir que je meure pendant votre mandat ». Et de réclamer : « Je ne veux aucune cérémonie officielle, aucun hommage de l’État. » Sa volonté sera respectée, avait alors assuré François Hollande. Giscard avait sans doute à l’idée de partir aussi simplement que l’avait été son arrivée à pied à l’Élysée.

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