Ce que vous ne savez pas de la mythique chambre 9 de la prison de Rebeuss

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SENTV : Supprimée à l’arrivée de la pandémie du coronavirus au Sénégal, la chambre 09 la Maison d’Arrêts et de Correction de Rebeuss continue de hanter l’esprit de ceux qui y ont séjourné. Ceux-là en parlent encore la gorge nouée, en pensant aux brimades, aux violentes bagarres entre détenus, à la chaleur étouffante… sans compter les rackets, les chantages. Une vie de bagnards où les plus faibles sont broyés et soumis à des actes innommables. L’Observateur redessine les contours de l’ancienne chambre 09.

Les images ignobles des centres de redressement de Kara Sécurité dévoilées par la gendarmerie ont eu le mérite de raviver un sentiment d’indignation. Celui éprouvé par tous les détenus ayant séjournéRebeuss dans une cellule pas comme les autres : la chambre 9. Une minuscule pièce, 11m sur 7, où s’entassait un monde fou : plus de 200 détenus. Et où les conditions de vie étaient des plus exécrables. Inhumaines. Même supprimée, elle laisse des souvenirs intarissables. Lorsque Abibou Babou la découvre pour la première fois, ce fut comme une gifle. Une gifle si forte qu’il a mis beaucoup de temps pour s’en relever. C’était il y a 45 ans… en 1975. Âgé aujourd’hui de 60 ans, Abibou Babou fait partie de la quatrième promotion des gardiens de prison (c’est ainsi qu’on les appelait à l’époque). Ses premiers pas dans ce corps l’ont mené à la prison de Rebeuss qu’il appelle «La centrale». Stagiaire à l’époque, ce retraité au visage ridé, ventre bedonnant vit au quartier Minam de Thiaroye. Comme tous ses ex-collègues, il garde encore, dans un coin de sa mémoire, l’image de la chambre 09. «A l’époque, on entendait beaucoup parler de cette chambre pendant notre formation, on était alors tous pressé de la découvrir», souffle Abibou Babou. Qui hélas va la découvrir, estomaqué. «J’étais ébahi lorsqu’au premier jour je m’y suis aventuré», témoigne Abibou Babou. Accueilli par une chaleur moite et l’odeur fermentée de la sueur des détenus, l’ex-gardien désorienté confie avoir freiné des quatre pieds pour ne pas vider ce qu’il avait dans le ventre. «C’était une odeur pareille à celle des poubelles et j’ai dû me retenir pour ne pas vomir», se rappelle encore l’ex-gardien de prison Abibou Babou qui ne remettra les pieds dans cette chambre que 48 heures plus tard. Cette fois-ci, il reste figé à la porte après avoir longé le mur qui conduit à la chambre 09. «Je ne voulais pas comme la première fois que l’odeur nauséabonde et la chaleur me fouettent le visage, j’ai pu l’éviter en longeant le couloir pour parvenir à la chambre», se rappelle-t-il. Debout à l’entrée de cette cellule, il laisse promener son regard sur les détenus «entassés comme des sardines». Sonné, il découvre des détenus souffrant de malnutrition et la plupart, le corps couvert de boutons. Fallou Fall, ayant séjourné pendant 5 ans à ladite cellule (2001 à 2006) en détention préventive, confirme tout le mal qui se racontait sur cette «cellule de torture». «On a beau être un caïd, on ne s’habitue jamais à cette chambre. Déjà avant, j’entendais souvent parler de cette chambre qui renvoie l’image d’un local lugubre où les gens s’entassent et où seuls les plus forts ont la chance de résister. Cette image est revenue dans ma mémoire lorsqu’au premier jour de mon arrivée à la Prison de Rebeuss, revenant du parquet, le garde pénitentiaire m’a informé que désormais ma place sera à la chambre 9. J’ai frissonné, mais ce n’était rien par rapport à ce que j’ai ressenti quelques minutes plus tard, lorsqu’on a ouvert la porte de la chambre. J’ai été accueilli par un brouhaha indescriptible», se rappelle Fallou, ex pensionnaire de la prison de Rebeuss. Qui, comme pour confirmer l’ancien gardien de prison, déclare : «Je me suis demandé comment quelqu’un peut continuer à vivre dans ces conditions et personnellement si j’allais m’en tirer…» Plus loin que Abibou Babou, l’ancien pensionnaire de la chambre 9 se rappelle des morts d’hommes dans ce trou : «Il y avait également des détenus malades, leur santé se dégradait de jour en jour. Des décès, il y en a eu quand j’étais là-bas. Et j’avoue que ces décès m’ont marqué. C’est au réveil qu’on apprend qu’il y a eu un décès dans la chambre. Tout ça fait que vous perdez le moral très vite, alors que vous avez besoin de toutes vos forces, y compris le mental, pour survivre là-bas.»

«Le Béribéri et la gale faisaient beaucoup de victimes, les contaminations étaient fréquentes»

L’activiste rappeur «Fou Malade» a séjourné dans cette fameuse chambre. Pour décrire la vie dans cette ancienne cellule de la prison de Rebeuss, il y va sans gants. «C’est pendant mon deuxième séjour en prison que j’ai découvert l’horreur à la chambre 9. Nous étions 200 individus à nous y entasser. Et pendant la chaleur se développe un phénomène appelé «Tabou Sakh ou Tabou Diel» (des abcès desquels on extirpe des vers). C’était inhumain», se souvient le rappeur. Il laisse entendre que tout le monde était sensible face aux dures conditions des pensionnaires de cette lugubre chambre. «Des détenus qui craquent, qui disjonctent et qui engagent des bagarres très (il insiste) violentes qui conduisent souvent à de graves blessures. Les gens étaient couchés les pieds collés à la tête du codétenu. Il n’y a pas de mots pour décrire ce qui se passe dans cette chambre. En période de forte chaleur, j’y ai vu des détenus changer de peau comme s’ils étaient en train de muer comme les reptiles…», souffle Malal Talla, de son vrai nom. Une situation que l’ex-gardien de prison raconte d’une voix traînante parce que lourde de souvenirs. En s’intéressant de près aux détenus, Abibou Babou qui venait de boucler juste quelques semaines à la prison centrale comme stagiaire, découvre l’origine des deux maladies qui affectent le plus les pensionnaires de la chambre 09. Il confie : «Le Béribéri était essentiellement dû à la mauvaise alimentation constituée essentiellement de couscous assaisonné juste avec un liant obtenu à base de feuilles de baobab séchées et pilées (Lalo), alors que la gale était la conséquence logique de la promiscuité et de l’absence d’hygiène.» La gale très contagieuse se propageait alors très vite dans la chambre 09 au point que tous les jours, aux heures de promenade, on assistait à la ruée de détenus dans la cour pour exposer leurs habits au soleil. «L’image m’est restée encore plusieurs années après que j’ai quitté la prison centrale (Rebeuss) à la suite d’une affectation. C’était une manière pour les détenus vivant dans la chambre 09 de désinfecter leurs habits. Et cela donnait lieu à une énorme bousculade au point qu’on était obligé d’intervenir», revit Abibou Babou.

Chantage, soumission et les repas clandestins

Les conditions de vie difficiles qui sont le lot des détenus pensionnaires de cette cellule ont fait le lit de toutes sortes de déviances. Face à la nourriture indigeste servie à l’époque, certains développent des stratégies de survie pour se tirer d’affaire. Il y en a qui résistent et ceux-là, l’ex-gardien de la paix les assimilent à des durs : «Ils se suffisent de cette nourriture au risque de tomber malade, d’autres, en complicité avec le chef de chambre, réussissent à cuisiner dans la chambre 09, malgré la promiscuité. Pour ce faire, ils fabriquent des réchauds à partir des pots de lait qu’ils découpent et utilisent la pâte d’arachide à base de cacahuètes (communément appelé Tigadégué) qui leur sert de bouillon pour relever le goût des plats qu’ils mijotent.» Et seuls les soumis ou les proches des chefs de chambre étaient invités au banquet du…chef. Une soumission à la chambre qui était la règle et que certains ont payé au prix fort. Ému, l’ex-gardien de prison qui a découvert comment des détenus étaient obligés de s’offrir pour pouvoir manger à leur faim, raconte : «C’est à la suite de plusieurs dénonciations que nous avons découvert ces pratiques abjectes qui étaient imposées aux détenus abandonnés par leurs familles et qui n’avaient pas assez de cran pour résister. Ne recevant pas de nourriture de leurs familles qui les ont abandonnés, ils sont à la merci de ceux-là qui, parce que soutenus par leurs proches, reçoivent régulièrement des plats venus de l’extérieur et qui leur imposaient de se donner à eux la nuit. Ce n’était pas vraiment de l’homosexualité telle qu’on en rencontre aujourd’hui, mais c’étaient des esprits faibles qui ont accepté de se donner pour survivre. Un chantage ignoble auquel certains n’ont pu résister.» Fallou Fall revient sur les bagarres dans cette chambre. «A l’origine des bagarres, il y avait également la confusion qui régnait à la porte des toilettes de la chambre 09. Tout était organisé et des tickets distribués pour l’ordre d’accès aux toilettes, mais certains tenaient à tout remettre en cause pour passer les premiers aux toilettes et comme les autres ne pouvaient rester sans réagir les bagarres éclataient très vite. Les auteurs de ces bagarres sont souvent signalés au chef de chambre qui, après les avoir identifiés, rapportent tout aux gardes pénitentiaires qui les amènent en isolement», témoigne l’ancien prisonnier.

Le baptême de feu du nouveau-venu

Si ailleurs, on parle de bizutage pour tester les capacités de résistance d’un nouveau-venu dans un groupe, à la Mac de Rebeuss, il s’agit plutôt d’un vol organisé et supervisé par le chef de chambre pour imposer sa loi dans la chambre 09. «Le détenu qui arrive pour la première fois est systématiquement dépouillé dès qu’il met les pieds dans cette chambre. On lui arrache tout. C’est ce qu’ils appellent dans leur langage le baptême du nouveau-venu», confie Abibou Babou. Un butin qui sera écoulé en douce pendant les heures de promenade au nez et à la barbe des gardiens de prison. Car en prison, malgré la privation de liberté, le besoin de paraître reste vivace, notamment chez les habitués ou ceux-là qui purgent de longues peines. Les jours de fête, ils mettent de beaux habits et portent des parures qui proviennent des objets arrachés aux nouveaux détenus. Autre problème évoqué par Fallou Fall, les chaudes nuits de la chambre 9. «On était anxieux au fur et à mesure que la nuit approchait. On lisait sur le visage des gens la peur, la souffrance. C’était également l’un des pires moments. Tout le monde redoutait la nuit avec son lot de souffrances et de règlements de comptes.  En plus de s’entasser comme des esclaves, certains étaient vulnérables et subissaient la loi des plus forts. Il y avait des clans, certains devenaient très influents, car proches du chef de chambre. Si vous leur refusez un service pendant le jour, comme de partager son plat avec eux, ils attendaient la nuit pour s’entendre avec le chef de chambre et vous côtoyer», se remémore-t-il.

Ces détenus privés de promenade par le chef de chambre

Discipline et obéissance, deux mots gravés sur le mur dans la chambre 09 et dont se souvient encore l’ex gardien de prison, Abibou Babou. Deux mots qui traduisent la toute-puissance du chef de chambre. «Il avait presque le droit de vie et de mort sur ses codétenus», reconnaît Babou qui informe que ce même chef de chambre pouvait, sur un coup de tête, interdire de promenade un détenu qui en avait pourtant le droit tel que le stipule le règlement intérieur en prison. «Il arrive souvent pendant les heures de promenade que l’on remarque l’absence d’un détenu. Et lorsqu’on interroge ses codétenus, ils nous informent, sous le couvert de l’anonymat, qu’il est interdit de promenade par le chef de chambre, une interdiction qui peut durer un mois. C’est dire que dans la chambre 9, il peut se passer beaucoup de choses sans que les gardiens de prison ne soient informés.»

Crainte par les détenus, la chambre 9 est également étroitement surveillée par les gardiens de prison qui y découvrent souvent des armes blanches pendant les fouilles. «C’est souvent à la suite d’une bagarre qu’on y découvre des armes blanches. Très rusés, les détenus réussissent souvent à obtenir des arêtes de poisson qu’ils aiguisent pour en faire des armes acérées.»

La mythique Chambre 9 n’existe plus 

Une précision à faire. Cette fameuse Chambre 9 très redoutée par les pensionnaires de la Maison d’arrêt de Rebeuss n’est plus qu’un mauvais souvenir. «La fameuse Chambre 9 n’existe plus», avait révélé le ministre de la Justice, Me Malick Sall, qui se prononçait en mai dernier après que 1 021 détenus ont été graciés. Il expliquait : «Le Sénégal respecte les critères qui sont définis au niveau de la Commission des Droits des Nations Unies.» La Chambre 9 faisait 11 mètres sur 7 mètres et recevait plus de 200 détenus.

ALASSANE HANNE

L’Observateur

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