« Hommage à Seydi Sikhou Wagué, l’Instituteur des âmes » Par DAOUDA DORO SOW

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SENTV : Une vie au service de l’enseignement et de la culture (1946 – 2021)
Il y a bientôt trois ans, en ce 17 juillet 2021, un grand silence s’est levé — profond, solennel — celui qu’impose l’absence d’un homme qui a tant donné. Seydi Sikhou Wagué nous a quittés, après une longue épreuve de la maladie, « calme et paisible », selon les mots de son frère, ami et alter ego, Bakary Wagué. Il est parti drapé dans la dignité, emportant avec lui une part de lumière — celle des géants dont les empreintes deviennent les nôtres, et dont nous cherchons en vain, aujourd’hui encore, les successeurs.
« Monsieur Wagué », ainsi l’appelait-on, avec respect et tendresse.
Il fut ce que notre époque cherche encore : un phare dans la brume des incertitudes, un instituteur au sens le plus noble, un homme qui formait les esprits autant que les cœurs. À ceux, jeunes ou moins jeunes, qui cherchent dans son héritage un cap ou un miroir, il est temps de délaisser les fastes creux des hommages de convenance pour puiser dans son exemple la force, la dignité, et la beauté de l’aventure humaine. Je pourrais longtemps poursuivre cet exercice ancien de déprecatio, ce murmure aux dieux pour apaiser nos failles, cette prière pour retenir encore un peu ceux qui nous ont éclairés. Mais déjà, une étoile s’est éteinte. Et dans le grand livre de nos vies, une page précieuse s’est tournée, en silence. Monsieur Wagué…
Ce nom résonne encore comme une promesse tenue. Il fut tout ce qu’un maître doit incarner : une présence bienveillante, un passeur de mots et de mondes, un tisseur de songes et d’avenir.
Je me souviens d’un été, en l’an 2000, à Kaédi. Le cœur battant, je frappais à sa porte. Nous avons parlé — longuement, simplement. Et je lui ai confié ce qu’il devinait sans doute, mais que je tenais à lui offrir, comme on remet un trésor à son gardien : qu’il m’avait transmis l’amour des livres, la passion des lettres vagabondes, le goût des chemins de Montaigne, de la poésie de Victor Hugo, et surtout, celui de penser librement. Ce moment, je le garde comme une lettre précieuse que l’on n’oublie pas — semblable à celle qu’Albert Camus adressa à son maître, le 19 novembre 1957 :
« Cher Monsieur Germain,
J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’en ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous.
Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé.
Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur. Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève.
Je vous embrasse de toutes mes forces. » Cette lettre magnifique, telle une main tendue du passé vers l’éternité, je la dois à Seydi Wagué. Et qui d’entre nous ne s’y reconnaît pas, au seuil de ses propres souvenirs d’élève ?
Car plus qu’enseigner, il formait, éveillait, ouvrait. Décédé à 75 ans, il fut l’un des grands artisans culturels de Kaédi, dès les premiers instants de l’indépendance. Privé très tôt de la poursuite de ses études en raison de responsabilités familiales précoces, il fit de l’enseignement une mission. Et c’est dans cette vocation que l’élan de la liberté trouva un messager fidèle.
Il veilla sur ses jeunes frères comme un père veille sur ses fils. Toka Wagué fut son premier compagnon de route, puis d’autres vinrent se placer sous son aile. Car oui, dans instituteur, il y a institution — ce pilier discret et dévoué, œuvrant sans recherche de profit, uniquement au service du bien commun. Il aimait tant répéter que la lecture aide à comprendre le monde, parce que, disait-il en évoquant Rimbaud, les grands romanciers ont la lucidité des “voyants”. Homme d’empathie, il enseigna la langue française dans le Guidimakha et le Gorgol, et fut à l’origine, en 1986, de la première école de langue soninké à Kaédi.
Même après sa retraite, il poursuivit inlassablement sa quête. À l’Alliance française de Kaédi, qu’il contribua à fonder, il fut tour à tour bibliothécaire, formateur, directeur des cours, puis directeur à part entière dès 2016. Il prêta aussi sa plume à la mémoire collective : co-auteur des Contes mauritaniens de la vallée du fleuve et de La Mauritanie au fil de l’eau.
Ceux qui l’ont connu garderont de lui l’image d’un homme cultivé, courtois, respectueux, modeste, généreux et juste.
Repose en paix, Maître Seydi Wagué. Seydi Wagué !
La mort nous enseigne l’extrême fragilité de l’existence humaine, semblable à une embarcation dérivant sur l’immense mer qu’est la Terre. Elle se joue de nos illusions et de notre orgueil, engloutit parfois les plus brillants destins, pour les laisser dériver ensuite vers le néant ou l’indicible.
Mais, heureusement, dans la grande bibliothèque des âmes, ton nom est inscrit à l’encre vive.
Et tant qu’un élève se souviendra, tu ne quitteras jamais vraiment la classe ni l’arène de la culture.
À sa famille proche et à sa grande famille, nous disons : nous n’avons pas oublié. « Il aura vécu utilement », dixit Bakary Wagué.
Daouda Sow

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