« L’Afrique, Moïse et le monothéisme de S. Diarisso : Une enquête scientifique sur la grandeur de l’Afrique… »

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SENTV : Introduction : DU MAÂT EGYPTIEN AU MOURIDISME

Tout vient de l’Afrique, tout reviendra en Afrique et à l’Afrique si ses fils sont suffisamment déterminés à s’armer de science jusqu’aux dents … et à arracher leur patrimoine culturel. Il n’y a pas quatre chemins, c’est la science qui nous sortira de la pauvreté, du mépris culturel et même des conflits qui nous consument sous le feu de l’ignorance. D’Akhenaton au mouridisme de Cheikh Ahmadou Bamba, la parenté spirituelle et historique entre l’Egypte pharaonique et le reste de l’Afrique noire ne fait plus aucun doute. Avec plus de photos, de cartes, de références historiques et bibliographiques, Sogué Diarisso est sur la piste de l’âme unificatrice de l’Afrique. Cette nouvelle édition est absolument à acquérir et à lire.

Merci encore une fois Sogué de fouetter notre curiosité, mais également de montrer que seule la recherche est salvatrice. Nous n’avons pas le choix : pour que le sacrifice des pères fondateurs du panafricanisme ne soit pas vain, il nous faut aller à la source du savoir. Seul le savoir est souverain ; en dehors du savoir on est dans le domaine de la conjecture ; or la conjecture ne construit rien de solide. Un intellectuel digne de ce nom doit chercher, fouiller, produire et partager.

Trois parties à lire avec délectation et rigueur scientifique au regard des références et de la méthode d’exposé de l’auteur. Ceux qui chantent L’Afrique, devraient faire du livre L’Afrique, Moïse et le monothéisme de Sogué Diarisso un vadémécum. Cette nouvelle édition ((158 pages) donne plus de matière à tous les chercheurs sur les pistes de l’origine africaine des grandes civilisations. Je disais, dans mes notes de lecture de la première édition qu’en général les scientifiques écrivent bien, mais les mathématiciens sont encore plus séduisants par leur art d’inférer des chaines de raisons comme dans l’axiomatique. Cette édition revue et corrigée confirme parfaitement cette proposition. Des thèses audacieuses et parfois angoissantes dont les prémisses sont évidemment fondées sur les découvertes capitales et postulats de Cheikh Anta Diop, l’auteur en avance plusieurs sans se laisser inhiber par ses convictions morales ou religieuses. Ce courage qu’on appelle éthique scientifique est l’expression de la liberté qui fait le charme et la sécurité de la science. Quelle est la problématique de cet ouvrage ? L’auteur a-t-il atteint ses objectifs intellectuels? Quels sont supports lui ont permis de soutenir avec beaucoup de courage et de talent des thèses aussi audacieuses ?

Tel un berger de la dignité du Noir, Sogué Diarisso, dans la continuité du combat de Cheikh Anta Diop qui est sa principale source d’inspiration, semble se poser ici une question vitale : comment libérer l’Africain de la situation de dépendance à la fois intellectuelle, spirituelle, politique et économique dans laquelle elle est enfermée depuis plusieurs siècles ? La question est en apparence simple, mais elle devient redoutable lorsqu’on prend en compte l’atomisation à la fois confessionnelle et politique du continent et ce qu’il qualifie lui-même de « péril religieux ». La libération doit-elle passer par le reniement des religions révélées et des civilisations qu’elles ont charriées pour un retour aux traditions (mais où commencer dans ce cas, et quelle tradition commune) ? Ou bien peut-elle se faire en revendiquant avec légitimité le socle de ces religions et patrimoine intellectuel comme propres aussi à l’Africain sous forme d’un universel dont les fondements essentiels ont été jetés en Égypte antique ? Mais dans ce cas, comment régler le problème des deux grandes religions révélées qui se « partagent » les peuples d’Afrique ? Le livre est divisé en trois parties.

La première partie est une véritable archéologie, un dépistage des péripéties de la perte de l’âme unificatrice de l’Afrique. L’auteur y explique comment les religions monothéistes ont germé en Égypte pour aller fleurir et fructifier hors du continent. Le monothéisme est né en Afrique, et c’est ce qui explique, selon l’auteur, le fait qu’en adoptant ces religions, les Africains y ont vu des choses qu’ils trouvaient plus ou moins ordinaires parce que profondément incrustées dans leurs croyances. Des idées reçues qui ne résistent à aucune analyse scientifiques ont dû cependant être ébranlées par l’auteur : parmi elles, le sens de l’exode qui, selon lui ne pouvait (géographiquement et historiquement parlant) être un mouvement parti de l’Égypte vers la Palestine.

« L’examen de la carte de la zone, explique-t-il, aurait dû amener à rejeter cette thèse parce que même si Dieu est un faiseur de miracles, il n’en demeure pas moins qu’il reste le Premier des scientifiques, qui s’adresse aux hommes doués de raison ».

Première partie : voyage vers le passé des grandes religions monothéistes

Une véritable phénoménologie de la religion, commence par un examen du sens et des enjeux de la religion (c’est la finitude de l’homme qui le pousse à la transcendance). Cette quête de transcendance qui passe par l’art et la religion prendra des formes différentes relativement au milieu dans lequel elle prend racine. Du cannibalisme symbolique (dans les religions préhistoriques) à l’Eucharistie, ce qui est exprimé en toile de fond, c’est le refus de l’absurdité de l’existence, la projection vers l’infini comme source et destination de la finitude qui est l’essence de l’homme. Les différents rituels de la mort (et du mort) témoignent de cette quête de victoire sur la mort :

« Aussi bizarres que puissent paraître les pratiques religieuses des hommes préhistoriques, elles s’adressaient à des forces surnaturelles à qui ces derniers vouaient un véritable culte. Au nombre de ces pratiques religieuses des hommes primitifs figure le cannibalisme, phénomène fort répandu à l’époque préhistorique notamment au paléolithique inférieure ».

[Les lecteurs de Totem et tabou de Freud ne seront pas dépaysés ici]. Du royaume des esprits au royaume de Dieu, l’homme se cherche un destin plus doux que l’anéantissement définitif par la mort.

Tout a commencé par une idéologie appelée égyptologie : sous le couvert de la science, l’égyptologie a été une vaste entreprise de falsification de l’histoire des Noirs qui a commencé par un blanchissement des peuples de l’Égypte antique. Des injures hégéliennes (dignes d’un orfèvre de l’éloquence) contre les Noirs aux délires du physiologiste français Charles Richet (qui envisagea l’extermination des Noirs!) en passant par l’ironie de Montesquieu, Gobineau, Hume, etc., l’auteur rappelle les procédés psychologiques par lesquels on a réussi à persuader l’Africain qu’il n’a rien créé de grand et qu’il est, par nature, inférieur au Blanc. Faisant preuve d’une grande dextérité, Sogué Diarisso va fouiller dans l’antiquité de l’Egypte-Éthiopie pour exhumer les vestiges nègres de la civilisation égyptienne avec à l’appui les photos des représentations (gravures et sculptures) de souverains ou reines qui ont régné sur le trône d’Egypte. Les traits manifestement nègres des pharaons Ahmosis (dont le nom rappelle Yamessou ou Yamoussou dans certains pays du Golfe de Guinée), Mentou-Hotep, Narmer (Nare Mari qui serait, selon l’auteur, le vrai nom de Soundjata Keita) ainsi que les représentations du Dieu Osiris lui-même, etc., auraient dû suffire pour montrer le caractère authentiquement africain de la civilisation égyptienne. L’ascension d’Osiris et sa résurrection par les soins de sa femme Isis, le livre des morts qui est un véritable code de conduite destiné à régenter l’existence sociale des vivants, montrent que les Noirs n’ont rien importé en adoptant les religions révélées. La signification de la circoncision et l’excision relativement à la cosmogonie égyptienne (androgynie primitive), les témoignages d’Hérodote, d’Aristote, etc., montrent le caractère indubitable que la civilisation égyptienne était nègre et que ses cosmogonies sont « largement influencées par celles de la Nubie ».

Le chapitre La révolution du pharaon Akhenaton nous explique la portée de la révolution à la fois spirituelle et sociale enclenchée par Akhenaton qui, comme le feront ultérieurement les fondateurs des religions révélées, substitua le monothéisme au polythéisme. La destruction du polythéisme au profit du monothéisme telle qu’exécutée par Akhenaton nous montre d’ailleurs que les hommes font comme les dieux : le pouvoir est une tragédie. Le lecteur de ce troisième chapitre sera stupéfait de voir comment l’inconscient collectif parvient à graver au fond de l’âme humaine des archétypes qui peuvent donner des indications sur l’évolution et la migration des peuples. Les noms comme Kiya (une des épouses d’Akhenaton), Maa Moussé (l’homme né du spectre d’Osiris), l’histoire des deux épouses d’Akhenaton qui rappelle l’histoire d’Abraham et des siennes, etc. Le chapitre trois qui peut ressembler parfois à une parodie de l’histoire donne une mine d’informations précieuses qui justifient largement la thèse audacieuse de l’origine égyptienne de la Bible. S’appuyant sur les travaux de Messod et Roger Sabbah (Les secrets de l’Exode, Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 2000) Sogué Diarriso lève le coin du voile sur un côté ambigu de certains passages de la Bible sur l’Égypte :

« Selon Roger Sabbah, les premiers textes bibliques auraient été écrits par des Prêtres égyptiens déportés à Babylone par le roi Nabuchonosor ».

Le Moïse authentique serait donc égyptien et les premiers rédacteurs de la Bible seraient des noirs égyptiens, même si par une mauvaise ironie de l’histoire (récit) sur l’histoire (évènements), ils en deviennent marginaux, maudits : « Finalement la seule chose qu’on peut retenir de toutes ces thèses est que les périodes auxquelles aurait vécu Moïse, notamment la période amarnienne de la XVIIIe dynastie ou celle de la fin de la XIXe qui lui succède sont confuses, mais la constante est que Moïse est Égyptien. Par contre, le récit de son enfance s’apparente à celui de Sargon d’Akkad, qui a vécu plusieurs siècles auparavant.

Les développements ci-dessus laissent croire que la Bible (l’Ancien testament) raconte pour l’essentiel les péripéties du peuple égyptien, avec certains de ses pharaons et notables, particulièrement ceux des XVIIIe et XIXe dynasties ». pp.68-69. Bref, l’’histoire de Moïse en Égypte pourrait, à la lumière de ce chapitre 3, être une idéologie juive ou un mythe. On apprend également dans ce chapitre les origines royales de l’auteur…

En retraçant les pérégrinations des présocratiques et même des socratiques grecs vers l’Égypte, l’auteur montre comment les Grecs ont contribué à piller le patrimoine et intellectuel et spirituel égyptien sans avoir la grandeur de le reconnaitre dans leurs œuvres. Il n’y a, sous ce rapport, aucun miracle grec : comme l’a démontré Cheikh Anta Diop, la plupart des philosophes grecs ont été des plagiaires. Il se trouve que quand les structures politiques déclinent elles emportent avec elles l’essentiel du patrimoine culturel. Or l’Égypte, par un concours de circonstances, a été victimes d’instabilités politiques et d’invasions :

« Ainsi, après le déclin de l’Égypte, qui fut successivement sous domination des Perses, des Grecs et des Romains, l’oubli par les Africains de leurs racines religieuses, on voit bien que l’Europe marquée par le mythe d’Isis-Osiris-Horus apparaissait tout naturellement comme la terre d’érection du christianisme tel que nous le connaissons aujourd’hui. On note toutefois l’existence d’un Copte du nom d’Issa qui a vécu vers -310 et pratiquait la religion osirienne. Il avait le grade de Ker Kersheta (gardien des mystère) qui serait l’origine du mot Krystos des Grecs »

La fin du chapitre nous apprend que l’Islam, comme les autres religions révélées, est d’origine africaine. Mieux, le Prophète Muhamed lui-même ainsi que ses premiers compagnons pourraient avoir des origines nègres occultées par plusieurs siècles de métissage.

2e partie : PETITE ESCALE EN AFRIQUE p.107

Cette partie s’ouvre sur une pétition que l’on pourrait qualifier de géostratégique adressée aux Africains :

« Le principal enseignement à tirer de ce voyage [voir première partie] est que l’Afrique doit rester en marge de la guerre dite de civilisation. Aussi, la renaissance spirituelle exige que nous retournions à ce que nous avions transmis au reste du monde. Il ne s’agit guère de revenir aux religions originelles, mais plutôt d’en tirer la quintessence »

Les Hooligans de la foi qui sévissent au Nigéria, au Niger, au Mali et un peu partout en Afrique devraient décoder ce message de sagesse et d’espoir lancé par Sogué Diarisso : les religions révélées ne nous apprennent fondamentalement pas des choses que nous ne savions déjà de façon empirique ou théorique. Débarrassées du vernis culturel qui rappelle leur façonnage dans des civilisations étrangères, elles expriment des choses universelles dont la quintessence est quotidiennement vécue par les Africains. L’auteur rappelle le témoignage que l’explorateur Ibn Batouta (XIVe) fit de l’esprit de justice, d’ordre, de tolérance des Africains pour étayer sa thèse (p.100). Cette gangrène sinistre pompeusement et faussement appelée État islamique apparait, sous ce rapport, comme une véritable régression spirituelle et politique du Continent : nos mœurs étaient déjà pleines de valeurs islamiques avant même la naissance de cette religion sous sa forme révélée. De même, les idéaux de liberté, d’égalité et de justice proclamés par les « grandes » Démocraties ont toujours existé en Afrique et ce, depuis l’Egypte antique comme le confirme ce passage de Diodore de Sicile tiré de la Bibliothèque universelle parlant du pouvoir du roi et de ses limites :

« Les rois ne menaient pas une vie aussi libre et indépendante que ceux des autres nations ; ils ne pouvaient point agir selon leur propre gré. Tout était dicté par des lois, non seulement leur vie publique, mais encore leur vie privé et journalière. Ils étaient servis non par des hommes vendus ou par des esclaves, mais par les fils des premiers prêtres, élevés avec le plus grand soin et ayant plus de vingt ans. De cette manière, le roi ayant jour et nuit autour de lui, pour servir sa personne, de véritables modèles de vertu, ne se serait jamais permis aucune action blâmable. Car aucun souverain ne serait pas plus méchant qu’un autre homme, s’il n’avait pas autour de lui les gens qui flattent ses désirs… ».

Voilà qui devrait inspirer nos chefs d’État actuels qui préfèrent voguer seul dans leur navire au milieu de l’océan de l’ignorance et de l’obscurantisme plutôt que de ramer à côté de savants et de sages dans la mer si agitée de compétition et de prédation qu’est la géopolitique mondiale. Ce que les Grecs ont « inventé » sous le vocable de démocratie est loin d’être une invention, ce n’est que l’aboutissement d’un processus qui a commencé en Afrique. Ce passage montre que la fameuse « Paideia » grecque (éducation, élevage d’enfant, culture, civilisation) trouve ici son expression : former des jeunes pour servir la cité et non les caprices du roi. Relisons bien le passage :

« Ils étaient servis non par des hommes vendus ou par des esclaves, mais par les fils des premiers prêtres, élevés avec le plus grand soin et ayant plus de vingt ans. De cette manière, le roi ayant jour et nuit autour de lui, pour servir sa personne, de véritables modèles de vertu ».

Il faut former nos enfants à la dignité de serviteurs de la communauté et non pour être des dames de compagnie ou les sbires d’un homme.

3e Partie DEPART VERS LA VOIE DU SALUT p.119

L’Afrique doit retrouver ou reconstituer son âme unificatrice, sa force mentale, qui est sa seule voie de salut. Il nous faut réapprendre à réécouter cette voix céleste qui parle dans les profondeurs de notre âme. C’est sous la forme d’une profession de foi destinée à devenir une confession collective que s’ouvre la 3e partie, un véritable hymne à la renaissance spirituelle de l’Afrique :

« L’âme unificatrice du peuple, c’est ce qui est niché au plus profond de notre être, de notre inconscient collectif et qui nous unit. C’est ce ressort qui nous évite la désintégration et qui nous donne l’énergie de rebondir lorsque nous sommes au fond des abîmes. C’est la force qui nous permettra de transcender toutes nos différences qui deviendront plutôt des richesses. Il est du peuple comme il en est de la matière. Ils ont tous les deux besoins d’une force suffisamment puissante qui réunit et maintient soudés les différents composants en perpétuel mouvement d’interactions : dans la matière, c’est la force forte, et son pendant dans un peuple c’est ce qu’on appelle l’âme unificatrice. »

C’est sans doute le passage le plus touchant et le plus enthousiasmant du livre de Sogué Diarisso. Un message d’espoir et un appel à la rédemption spirituelle et politique de l’Afrique. La renaissance doit être précédée d’une réminiscence spirituelle. L’auteur trouve dans la voie de Cheikh Ahmadou Bamba, l’exemple typique voire le modèle de message unificateur et porteur de progrès pour l’Afrique, par-delà des clivages religieux. Le poème (qasida) « Fuzti » dédié à la Vierge Marie (reproduit en français par l’auteur) et celui énigmatique intitulé « Khatimatou Mounajat » « le couronnement de la prière fervente » sont la preuve de la transcendance des clivages religieux dans le mouridisme. Ce «couronnement de la prière fervente » qui exalte la foi (confiance et conviction) de la spiritualité mouride est, selon l’auteur, la preuve que Serigne Touba est sans équivoque « le dépositaire de la lumière de Jésus et du prophète de l’Islam. En d’autres termes, Jésus, le prophète de l’Islam et Cheikh Ahmadou Bamba sont d’une même lumière, d’une même essence. »

L’importance du grand Magal de Touba et le type d’eucharistie spirituelle quasi mondiale qu’il occasionne chaque année devraient nous inciter à méditer davantage le message et le projet de société que le fondateur du mouridisme nous propose. Ceux qui parlent d’études « décoloniales » et de décolonisation des esprits sont, sous rapport, très en retard sur le Cheikh : il l’a fait comme on prouve la marche en marchant. Le ton incantatoire de l’auteur qui clôt le 1e chapitre de cette dernière partie du livre est révélateur de sa saine passion pour l’Afrique :

« Il faut briser les chaînes, lever le voile qui nous empêche de voir. Partout en Afrique, les hommes et les femmes sont entourés de richesses, mais croupissent dans le dénuement le plus total. Ils n’en sortent le plus souvent que par des initiatives extérieures. L’homme noir est inhibé depuis la naissance par la perception commune d’une sorte de damnation qui relèverait même selon certains écrits d’un châtiment divin. Non, il faut arrêter cela. Cheikh Ahmadou Bamba a définitivement tué ces perceptions anesthésiantes ancrées dans notre inconscient collectif depuis la nuit des temps. »

Un nationalisme pragmatique : telle est la voie du mouridisme qui fait de l’essence du culte une culture, des mœurs quotidiennes. Une voie où la conscience de la transcendance accompagne et dope le fidèle dans ses moindres actions. L’homme est âme et corps ; transcendance et immanence : ce dualisme de la nature humaine a comme facteur de concentration le Travail. Être un aspirant, c’est s’efforcer à mettre son corps au service ou sous le commandement de son âme. Prier, c’est prier (et c’est un culte essentiel), mais travailler c’est prier deux fois ! Le travail purifie et permet d’être au service de la communauté : c’est le message du mouridisme. Il n’y a, sous ce rapport, rien que L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber ait développé sur les vertus spirituelles et économiques du travail qui n’existe comme vécu dans la voie mouride.

L’économie mouride a pour moteur et boussole une valeur qu’on pourrait qualifier de capital-humanisme. La Xidma dans son essence est à la fois adoration de Dieu, donc transcendance, et quête de l’épanouissement terrestre, donc immanence matérielle. me et corps : deux choses liées, exprimant la nature dualiste de l’homme avec chacune ses exigences à satisfaire. Il s’agit de concilier la double nature de l’homme dans une compréhension synthétique de sa mission sur terre : adorer Dieu et être son vicaire sur terre ne sont pas deux choses différentes. Car si le meilleur d’entre nous est celui qui est plus utile à la communauté, le service rendu à l’humanité est forcément un culte rendu à Dieu. Travailler pour épanouir l’homme et rendre la Terre comme l’antichambre du paradis dont nous venons : telle est l’essence de la Xidma. L’ascèse ne se fait pas seulement par la prière, du moins la prière, ce n’est pas seulement le rituel standard exécuté à des moments précis : toute l’existence humaine est faite pour exécuter cette ascèse. Sogué Diarisso n’a donc pas tort de proposer à l’Afrique le mouridisme comme voie de renaissance (ou plus exactement de réminiscence) à la fois spirituelle et économique.

« La religion est ce qui donne à l’homme l’espoir d’une vie meilleure dans ce monde et dans l’au-delà. C’est une source d’énergie extraordinaire dans laquelle on peut puiser pour faire des choses extraordinaires, comme du temps du rayonnement de l’Afrique [Mâat égyptien]. Notre référence à nous Nègres, si l’on veut une plateforme unitaire entre croyants africains, c’est sans conteste Cheikh Ahmadou Bamba et la voie qui s’impose à nous est celle de Cheikh Ibra Fall, pour sortir le Continent de l’abîme. Nous ne tomberons jamais par contre avec de telles références dans les travers du capitalisme sauvage et cruel, mais plutôt dans une vision du monde où on nous rappelle sans cesse que nous devons dompter ce monde pour en jouir, sans en être prisonniers »

La religion est faite, dans son essence du moins, pour sauver l’homme d’abord de l’enfer terrestre avant de le sauver de l’enfer de l’au-delà. Feu Thione Seck l’avait tellement bien compris qu’il disait de la vie terrestre qu’elle est le passeport ou plutôt le visa de la vie future.

Le chapitre 3 (dernier chapitre du livre) est une invite adressée aux intellectuels africains pour une valorisation du trésor spirituel et culturel de l’Afrique. L’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba (exemple voire modèle proposé par l’auteur comme voie de rédemption de l’Afrique) doit être étudiée par les intellectuels africains. La philosophie de la non- violence, le culte du travail, l’économie solidaire, etc. sont charriés par la voie du mouridisme. Le défi que l’œuvre de Cheikh A. Bamba lance aux intellectuels africains (philosophes, sociologues, économistes, mathématiciens, etc.) est d’abord de comprendre et de vulgariser la civilisation mouride. L’économie mouride peut être mathématiquement modélisée, axiomatisée et enseignée dans les universités parce qu’elle est rationnelle. Ceux qui réclament l’introduction des œuvres de nos saints dans les programmes scolaires devraient s’inspirer de ce travail de Sogué. Il ne s’agit pas de plaquer des écrits religieux, mais d’en extraire des contenus universels débarrassés de la forme dogmatique qui pourraient contribuer à la formation du citoyen africain et d’en faire un vecteur de progrès.

Conclusion : enseignements tirés de la lecture de cette belle production

Le principal enseignement que l’on tire de ce livre est l’énorme gâchis que constitue la spirale du silence qui frappe le potentiel spirituel et intellectuel de l’Afrique. Ce livre nous invite à redonner une dimension universelle à nos productions culturelles, à prendre conscience que l’Alpha et l’Oméga des religions monothéistes sont la justice, l’ordre humain (pendant de l’ordre cosmique), l’effort pour rendre l’homme et le monde meilleurs. Or la connaissance de l’Afrique révèle que seules les formes imposées par les cultures qui nous ont ramené ces religions varient. L’essence de la religion monothéiste est présente dans toute la spiritualité des Africains. Cette œuvre de Sogué Diarisso propose une reconquête de la souveraineté spirituelle perdue à cause d’une politique négationniste qui a fini par convaincre l’Africain que ses croyances l’écartent de Dieu, ce qui est une énorme supercherie. La voie mouride est, selon l’auteur, la voie la plus achevée et la plus adaptée aux réalités africaines car elle est la quintessence de toutes les religions révélées, donc l’Islam authentique..

* Par Alassane K. KITANE

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