Les confidences d’un ancien membre de la garde rapprochée de Dawda Jawara : « On pouvait éviter le coup d’État (…) Jawara est parti avec les américains (…) »

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SENTV : Les témoignages se poursuivent devant la Commission Vérité, Réconciliation et Réparation mise en place après le départ de Yaya Jammeh du pouvoir. Ces derniers jours, les travaux de cette instance ont porté essentiellement sur les circonstances du coup d’État de juillet 1994 qui a permis à Jammeh de régner sur la Gambie pendant 24 années. Le 7 décembre dernier, le sergent Kam Mbai, qui était membre de la garde rapprochée de feu Dawda Jawara a été entendu par la CVRR, sous la présidence de Lamin Sise. Paré d’une tenue militaire, le témoin est revenu de fond en comble sur les évènements du 22 juillet.

Selon le sergent Sam Kambai, les choses ont commencé à bouger dès le 20 juillet alors qu’il venait juste d’être affecté à la State house après une formation d’un an à la gendarmerie. Il faisait partie de la Tactical Support Group (TSG) qui assurait la sécurité du président. Le 22 juillet, son unité est détachée à l’aéroport pour les besoins de la sécurisation de l’arrivée du président Jawara. 

Ce jour, se rappelle le sergent Kambai, le président a juste eu le temps de saluer quelques minutes avant d’être mis dans son véhicule, direction le palais présidentiel, à Banjul. Le coup de force était en cours et malgré leur présence à la « State house », le président Jawara avait perdu le contrôle de la situation. 

Le témoignage du sergent Kam Mbai fait état de l’arrivée au palais de trois véhicules desquels sont sortis des Américains (trois). L’un d’entre eux a demandé à voir le président Jawara qui est descendu. 

« Je ne pouvais pas entendre ce que l’américain lui a dit mais le président Jawara lui a répondu qu’il était dans son pays et que les militaires étaient les siens. Il a ajouté qu’il leur parlerait et tout rentrerait dans l’ordre. Mais son interlocuteur américain ne semblait pas convaincu par les arguments de Jawara qui a été invité à prendre place dans l’un des véhicules. Il n’a pas adhéré immédiatement à cette idée, mais il a fini par lâcher du lest. C’est ainsi qu’il est parti avec les américains », allègue le témoin qui précisera plus tard que Jawara n’a pas été kidnappé. 

Un autre témoin du nom de Alagie Gaye qui était dans la garde rapprochée de Jawara révèle qu’il s’agissait de l’ambassadeur des États-Unis accompagné des forces spéciales. D’après le même témoin, Dawda Jawara a été emmené à la base navale des américains. Une situation devant laquelle le sergent Sam Kambai et ses frères d’armes chargés de la défense de la State House ne pouvaient pas grand-chose. Comme lorsqu’il leur a été demandé par leur commandant Lane Tombong Tamba de baisser les armes quand les militaires sont arrivés, conduits par Edward Signateh. 

 « On pouvait se défendre »

Très peiné par cette capitulation, le sergent Kambai assure que les membres de la TSG étaient en mesure de faire face aux putschistes. « Si l’ordre n’était pas de déposer les armes, on se serait défendus car on avait le personnel nécessaire et la préparation qui sied. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on a été déployé à la State House. C’est pourquoi quand Moussa Jammeh est venu dire que nous devions nous rendre, certains d’entre nous ont pleuré. Les assaillants n’étaient pas plus armés que nous. La seule différence, c’est qu’ils avaient une lance-roquette RPG sinon rien d’autre qui pouvait nous impressionner. L’armée gambienne n’était pas bien équipée à l’époque », regrette le témoin qui ajoute que « si chacun avait fait son travail, les putschistes n’auraient même pas pu approcher le palais ». 

Le sergent Kam Mbai ajoute qu’il n’a d’ailleurs pas suivi l’ordre de se rendre,  car pour lui « les soldats sont payés pour défendre leurs pays au prix de leur vie ». « Même si on doit y laisser nos vies, on doit le faire. Je ne donne pas de leçons au commandement, mais nous nous devons de comprendre les raisons pour lesquelles nous sommes payés », philosophe-t-il. En ce moment, Yaya Jammeh et Edawart Signateh débarquent. « Jammeh avait un talisman autour de la tête. Je l’ai même chambré un peu en l’appelant Jola Moro (impressionné, l’avocat principal place « amnga fitt dé » (tu es courageux)). Mais Jammeh a rétorqué que le temps est aux choses sérieuses », rembobine le sergent Kam Mbai.

La suite des événements a voulu que Jammeh constitue la State garde (SG)  tout en s’assurant que les membres de la Tactical Security Group (TSG) quittent le palais pour les camps.

À la faveur de cette « déjawarisation », le sergent Kambai est affecté à Farafégné en 2007. Trois semaines après qu’il a rejoint son poste, il doit répondre à l’État-major sous prétexte qu’il devait passer un test pour faire partie de policiers choisis pour une mission onusienne. Conduit de « manière civilisée » auprès du CDS (Chief of the Defense Staff), l’équivalent du Chef d’Etat major des armées, il poireaute pendant quelques minutes avant qu’un certain Bo Badji ne l’invite à le suivre au siège du service des renseignements, la NIA. Pour ce faire, cet officier du renseignement lui fait croire qu’il doit régler quelques documents en rapport avec sa mission à l’ONU. Le sergent Kambai ne savait pas qu’il se dirigeait vers des jours insoutenables. 

Jeté nu dans une cellule à la NIA

Arrivé à la NIA, le témoin raconte avoir été récupéré par un agent du nom de Moussa Kinteh qui l’emmena dans une pièce qui se trouve au sous-sol, au compartiment appelé « Babandinka ». 

« À 02 heures du matin, Lamine Dabo, Moussa Kinteh et d’autres hommes sont venus me chercher pour me faire remonter au rez-de-chaussée. J’ai découvert un panel d’officiers devant moi. Mais avant cela, Alagie Moor Joob m’a fait savoir que j’étais sacrifié par Bo. Ensuite, il m’a invité à signer un document dont j’ignorais le contenu. J’ai été sommé d’enlever ma tenue vu que je commençais à résister. Alors que je luttais pour ne pas être terrassé par deux hommes, un troisième m’a assené un violent coup à la tête. Sur ce, j’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillé, j’étais tout nu. Ma tête saignait. Ils m’ont roué de coups de telle sorte que pendant 30 minutes, je ne pouvais rien faire. Lorsqu’ils ont constaté que je ne pouvais sortir aucun mot, ils m’ont remis dans mon trou, à Babandinka, mais sans mes vêtements. J’avais juste un tee-shirt pour nettoyer le sang qui avait couvert tout mon corps », raconte le sergent Kambai. Au deuxième jour, les choses empirent. 

Submergé par le souvenir de ce supplice, le témoin marque un temps d’arrêt, repousse une larme. Mais elles viennent toutes seules. L’assistance lui laisse le temps de reprendre son souffle. « Alors que les plaies du premier jour commençaient à guérir, ils sont revenus à la charge. Ils m’ont emmené derrière un bâtiment et m’ont encore bien molesté. Tout ce qu’ils voulaient c’est que je signe leur fameux document. Je ne savais rien de son contenu. J’avais juste entendu parler d’un témoignage. Mais je n’ai pas signé. Ils m’ont remis en cellule, à Babandinka », détaille-t-il, le cœur lourd. 

Au troisième jour, le rythme était très pesant pour le sergent Kam Mbai. « Je ne pouvais plus prendre une troisième raclée, j’étais assez molesté. J’ai signé dès les premiers coups », capitule le témoin qui a été évacué à l’hôpital pour recevoir des soins. Il se souvient d’un autre détenu du nom de Kemo Konteh, un « rastaman » qui avait connu le même sort. « Les quatre premiers jours, on n’a pas mangé. Même pour boire, c’est l’un des agents qui nous a donné son urine », se rappelle-t-il.

 Séjour au Sénégal

Son séjour à la NIA connut ainsi son terme. Il est récupéré par la sinistre prison Miles 2. Dans ce pénitencier que Yaya Jammeh a transformé en mouroir, il fera quatre longues années et huit mois pour des griefs dont il ne connaît même pas la teneur. Le sergent Kam Mbai ne sera édifié sur son sort que devant le juge de la Haute cour de justice. Il découvre qu’il est poursuivi pour terrorisme. Mais il a eu l’intelligence de garder les traces de la torture dont il a fait l’objet dans les locaux de la NIA. Le soldat né en 1970 dira au juge qu’il a signé le document qui lui a été présenté sous la contrainte en brandissant le tee-shirt maculé de sang qu’il avait à la NIA. Finalement, il est acquitté.

Sa liberté retrouvée, le sergent Mbai quitte la Gambie pour le Sénégal. « Je devais me soigner », explique t-il. Son séjour au Sénégal ne dure que quatre mois. Sa femme qu’il a laissée en Gambie est presque persécutée par l’armée qui lui demande de ses nouvelles. Finalement, le sergent Kam Mbai qui n’a pas eu le temps de se retaper au Sénégal rentre en Gambie et se voit obligé d’écrire une lettre à Yaya Jammeh pour présenter des excuses. Ce qu’il fit pour obtenir sa réintégration dans l’armée. Mais fait bizarre, alors qu’il était en prison, il a été promu sergent et recevait régulièrement son salaire. D’ailleurs celui-ci a d’ailleurs été augmenté. Les bizarreries d’une dictature…

Avec Dakaractu

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